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Cameroun : Emouvant témoignage de Mamadou Mota devant la barre

Par Me Emmanuel Simh

Les riverains du Tribunal d'Ekounou commencent à s'y habituer. Hier encore, aux abords et dans l'enceinte de cette juridiction, un impressionnant déploiement des forces de maintien de l'ordre est visible.

Le Tribunal est en état de siège. La raison? On doit y juger des prisonniers présumés impliqués dans les revendications, qualifiées de mutinerie, du 22 juillet dernier. Parmi eux, essentiellement, des prisonniers de la crise anglophone et les militants du MRC. Le public, en tout cas les courageux qui ont pu traverser le cordon de sécurité, voit descendre des camions cellulaires des personnes dûment menottées, certaines seules, la plupart deux à deux.

Dans la petite salle d'audience du Tribunal, les détenus, préalablement alignés en deux rangs, s'installent sur les bancs. On distingue parmi ceux-ci MAMADOU MOTA, Premier vice-président du MRC. Son bras gauche porte un plâtre,et son bras droit est entravé par des menottes partagées avec un autre infortuné. Sa tête est à moitié rasée, une large et fraîche cicatrice, issue d'une blessure suturée, est visible même de loin.

Vers douze heures, retentit la sonnerie annonçant l'entrée du Président du Tribunal. Il s'installe et demande à son greffier d'appeler la seule affaire inscrite au rôle.

Les détenus, une vingtaine, défilent devant la barre. Après qu'ils soient identifiés, lecture leur est faite des faits mis à leur charge. Tous nient les faits. Lorsque MAMADOU MOTA entre dans le box des accusés, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon jeans, une barbe non rasée visiblement depuis son exfiltration de la prison pour le désormais célèbre SED, cet endroit réputé être devenu un haut lieu de torture, la salle plongé dans le silence. Comme aux autres avant lui, il est poursuivi pour rébellion en groupe, tentative d'évasion en coaction, destruction en coaction,, vol des effets d'anciens ministres, blessures simples.

À la question rituelle de savoir s'il plaide coupable ou non coupable, il sollicite, avant d'y répondre, qu'il lui permis de dire quelques mots. De la main droite, provisoirement débarrassée de menottes, il ajuste ses lunettes rondes sur son nez et se lance. Monsieur le Président du Tribunal, la personne qui comparaît devant vous est un ingénieur agronome. Je puis vous dire que ma présence ici n'est autre qu'un acharnement politique. Mon crime est d'été dans l'opposition et de critiquer le régime. Mais mon plus grand crime c'est surtout d'avoir fait des études. Vous voyez ce bras plâtré et cette tête cassée. Ce ne sont pas des bandits qui m'ont agressé, mais des gendarmes qui méthodiquement, froidement, avec une violence et une rage folles, m'ont causé ces blessures, et ce ne sont pas les seules.

En me frappant, ils disaient que cela m'apprendra à être opposant et à jouer à l'intellectuel, au lieu de me contenter d'être un petit gardien des maisons de leurs patrons. N'est-ce pas le sort d'un petit nordiste comme moi? Que les femmes présentes dans la salle me pardonnent, mais vous devez savoir. Un gendarme m'a carrément dit"MAMADOU MOTA, le gros cul de ta mère".

Nous avons tous une mère, et des filles qui demain seront des mères. Que venait faire ma mère dans cette histoire? Me torturer à mort ne leur suffisait-ils pas? Ils m'ont fait dormir trois nuits au sol, sans mes habits qu'ils avaient pris le soin de déchirer, me privant pendant cette période de nourriture. Je suis un vrai miraculé. C'est pour cela que devant vous j'espère avoir droit à la justice.

Car je n'ai commis aucun crime. J'avais été appelé ce 22 juillet pour calmer les protestataires. Ce que j'ai fait. Et alors que je dormais déjà, en pleine nuit, ils sont venus me sortir de la cellule, et dès la Cour intérieure de la prison, c'est des gardiens de prison qui ont entrepris de me molester. Je ne suis donc coupable de rien. Par ailleurs, je ne suis pas en état d'être jugé maintenant.

L'urgence c'est de recouvrer ma santé. Après ces propos, il rentre s'assoir, calmement. Je constate que son plâtre est truffé de signatures. Il m'explique que c'est l'œuvre de ses codétenus, par solidarité pour lui. Sacré MOTA. Au moment où, après le renvoi de la cause, les prisonniers à nouveau menottés quittent le Tribunal, il me revient en tête ces propos de MAMADOU MOTA devant le juge d'instruction: "Le Cameroun ayant ratifié des conventions internationales qui interdisent aux Tribunaux militaires de juger les civils, me traduire devant ce Tribunal Militaire est une insulte à la justice et une entrave à la démocratisation du Cameroun. Donc je vous exhorte vous-même à reconnaître votre incompétence et éventuellement à requalifier les faits, si tant il est que exercer un droit constitutionnel est devenu un crime dans ce pays." Je vous ai dit, MAMADOU, c'est un vrai MOTA.