Le journaliste et lanceur d’alertes, Boris Bertolt, a accordé une interview au quotidien Mutations, au sujet de son livre L’otage, qui met en couverture Paul Biya et Maurice Kamto.
Vous venez de publier un livre qui revient sur les péripéties de l’apres-presidentielle 2018. Pourquoi le titre “L’otage”?
Je tiens dans un premier temps à souligner que le choix de ce titre n’avait rien à voir au contexte actuel de mise en résidence surveillée de Maurice Kamto depuis le 22 septembre 2020. Le livre ayant été achevé et était en cours de production avant les marches du 22 septembre 2020. Dès lors, ce titre visait de mon point de vue dans un premier temps à décrire un contexte de rivalité entre deux hommes, deux acteurs politiques. L’un ayant la main mise sur les institutions et l’appareil répressif et l’autre étant dans la conquête du pouvoir. Dans cet environnement, il se trouve que les rapports de force ne peuvent être qu’inégalitaires. Cependant est-ce pour cela que celui qui est perçu comme étant en position de domination est par ricochet le dominant ? Telle est l’une des réponses que j’apporte dans l’ouvrage. Par ailleurs, il y avait une volonté pour moi de rendre compte de la scène politique nationale qui se concentre depuis deux ans autour de ces deux personnages. En l’occurence : Maurice Kamto et Paul Biya. Leur rivalité structure le jeu politique et construisent les représentations autour de la lutte de succession. C’est donc ces deux situations qui sont éplorées dans ce travail.
D’aucuns estiment déjà que vous exonérer le candidat du Mrc de toute critique dans ce livre. Quelle est la part de responsabilité du pouvoir et du Mrc dans l’imbroglio de 2018?
Il s’agit là d’un jugement de valeur qui est porté par des personnes qui régulièrement n’ont pas lu l’ouvrage. Et ce sont des réactions superficielles que l’on rencontre régulièrement dans notre société où les préjugés et oui dires font valeur de connaissance. Pour répondre à votre question, je n’utiliserai pas le terme « responsabilité ». Je dirai simplement que nous avons deux camps qui se battent à armes inégales. L’un pour la conservation d’un pouvoir qu’il détient depuis près de 40 ans et l’autre qui veut renverser ce pouvoir.
Comme dans toutes luttes politiques et surtout dans systèmes politiques où des acteurs politiques veulent s’éterniser au pouvoir, cette rivalité ne peut déboucher que sur une fracture de la société. Surtout lorsque ceux qui ont pour mission de réguler, d’encadrer, de rassembler et d’unir sont les premiers à utiliser la police, la gendarmerie et l’armée pour arrêter et torturer les manifestants de l’opposition. Le pouvoir de Yaoundé utilise ses médias pour instrumentaliser le tribalisme à travers la construction ce que j’appelle le « mythe d’un péril Bamileké ». C’est d’autant plus visible que toutes les données collectées par les journalistes et les chercheurs sur la répression et les arrestations en cours au Cameroun depuis la dernière élection présidentielle illustre clairement le ciblage d’une communauté ethnique.
Plus encore, toutes les propositions de dialogue, de discussions sont abandonnées au profit du brutalisme. On ne peut donc pas mettre le gouvernement qui a le monopole de la violence et le MRC sur la même balance. Le MRC n’est pas au pouvoir et ne contrôle pas les institutions. Vu les faits et les faits sont sacrés, le MRC et ses militants pourraient plutôt être considérés comme des victimes d’un pouvoir qui refuse l’apaisement, le dialogue au profit de la violence et la barbarie. On a vu comment après quelques semaines de crise en en Côte d’Ivoire, Allassane Ouattara a engagé des pourparlers avec l’opposition. Car, tout pouvoir responsable est conscient qu’à un moment où à un autre il faudra s’asseoir sur une table avec ses adversaires.
Votre livre est publié dans un contexte où le président et des militants du Mrc essuient les foudres du pouvoir. Est ce d’après vous une stratégie de mise à mort programmée du Mrc?
Je comprend très bien la préoccupation des uns et des autres sur la situation dans laquelle se trouve Maurice Kamto. Mais, elle repose sur le fait que depuis l’effondrement de l’opposition politique des années 1990 incarnée par le SDF, le jeu politique camerounais s’est structuré autour des logiques de cooptation et de répartition des prébendes. Le système clientéliste a brouillé les représentations du jeu politique dans une démocratie qui se caractérise les oppositions. Dès lors l’arrestation des cadres du MRC, la mise en résidence surveillée de Maurice Kamto, l’interdiction des manifestations du MRC peuvent être interprétées comme des stratégies de mise à mort de cette formation politique. Ce qui n’est pas entièrement faux. Mais cet état de fait traduit en réalité quelque chose de plus profond, la déliquescence de notre jeune démocratie ou plus clairement un virage suicidaire dans l’autoritarisme. Car, les citoyens ne peuvent accepter sous aucun prétexte la violations de la constitution qui consacre les libertés fondamentales des individus. Notamment la liberté d’expression et la liberté de manifester. Ces dérives actuellement en cours portent clairement atteinte à la nature de nos institutions et font peser des risques énormes sur la stabilité du Cameroun. La crise anglophone dont les mécanismes de gestion sont ceux appliqués au MRC est assez révélatrice des menaces qui pèsent sur l’Etat du Cameroun.
Jusqu’où peut aller le Mrc, lorsqu’on sait qu’il s’est auto-exclut du jeu institutionnel en boycottant les municipales et législatives ?
Je ne saurais vous décliner la stratégie du MRC aujourd’hui compte tenu du fait que je ne suis pas membre de cet organisation. Mais, ce que je peux dire c’est que le discours qui tend à prétendre que le MRC s’est exclut du jeu institutionnel est une production discursive du gouvernement qui veut marginaliser une formation politique et en l’occurence le MRC. Ce que vous appelez jeu institutionnel est organisé par ceux qui contrôlent les institutions. Or le MRC ne contrôlant pas les institutions, ne peut pas s’exclure de ce jeu.
Le MRC a indiqué ne pas participer à des élections avant la résolution de la crise anglophone et l’écriture d’un nouveau code électoral. Ils ne se sont pas exclus. Ils ont posé sur la place publique des problèmes au cœur de la sécurité, de la construction de la Nation. La crise anglophone c’est près de 600 000 déplacés et près de 3000 morts. Il est donc tout à fait responsable pour une organisation de s’engager vers la résolution dune telle crise. Comment peut-on prétendre organiser des élections dans un pays où deux régions sont en proie à une guerre de sécession ? C’est simplement irresponsable. Il y a donc lieu de se demander si ceux qui contrôlent les institutions ne sont pas au contraire les marchands de la guerre qui veulent exclure les acheteurs de la paix.
A titre personnel, Boris Bertolt aujourd’hui, c’est beaucoup de lièvres levés, qui ont contribué à perturber l’opacité. Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous jouez à la fois le jeu du Mrc et de certains hauts cadres du Rdpc dans la perspective de l’après-Biya ?
Les accusions de collusion entre les journalistes et les hommes politiques sont aussi vieilles que la naissance de la presse. Je ne ressent donc pas le besoin de me justifier sur liens supposés et même imaginaires que j’entretiendrais avec des acteurs politiques ou des formations politiques. Car, l’étiquetage des médias et des journalistes est inhérent à la place qu’ils occupent dans une société.
Dans les grandes démocraties les médias ont leur alignement politico-idéologique et cela ne pose aucun problème tant que les faits rapportés méritent d’être portés à l’attention du public. Les journalistes doivent garder en permanence leur sens critique pour demeurer des contre-pouvoirs. Si les journalistes décident de s’arrimer systématiquement sans aucun recul ou aucune critique au discours du pouvoir, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des communicants. C’est pourquoi la critique journalistique est au cœur de la démocratie. C’est également pourquoi le bâillonnement de la liberté de la presse est un indicateur de l’état d’une dictature.
Par la suite on ne peut pas interdire à des journalistes d’avoir des amis ou des contacts. Car un journaliste c’est d’abord son carnet d’adresse. Ce qui importe ce sont les faits rapportés et leurs conséquences. L’essentiel c’est que les dénonciations et les scandales puissent permettre de faire avancer la démocratie, faire progresser la société et d’améliorer les conditions de vie des camerounais. Le reste relèvent à mon égard régulièrement de beaucoup de fantasmes et d’imaginations puériles.