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Cameroun-Le fonctionnement du pouvoir tribal du Cameroun: Une Tribune de Dieudonné Essomba.

Dieudonné Essomba

Après les discours du Chef de l’Etat et des Chefs d’opposition, je me rends compte que nous ne comprenons assez mal la nature de nos pouvoirs, et l’impossibilité de gérer le système postcolonial de manière rigoureuse, en évitant toute tribalisation de la gouvernance publique et toute corruption, dans un environnement aussi hétérogène que le Cameroun et dans un système unitaire.

De fait, la tribalisation du pouvoir et la corruption sont intrinsèquement liées à l’Etat unitaire et il est impossible de faire autrement. Les raisons sont liées à la nature même du pouvoir. En effet, dans les pays pauvres, le pouvoir d’Etat est le mécanisme presque exclusif qui pourvoit en emplois publics, en positions d’autorité, en rentes de situation et en infrastructures, tous mécanismes d’accès aux commodités modernes que nous convoitons tous, mais que nous ne fabriquons pas : voitures, maisons en marbre, champagnes, costumes, électricité, routes bitumées, etc.

Dans un environnement essentiellement marqué par la pauvreté et une grande hétérogénéité des populations, cette circonstance déclenche une féroce compétition intertribale pour son contrôle, ce qui rend l’exercice du pouvoir particulièrement dangereux, et susceptible de se conclure par l’emprisonnement du Président, voire sa mort violente. Les exemples de Chefs d’Etat renversés, voire torturés et battus à mort montrent l’extrême dangerosité de ce poste, notamment dans un environnement humainement hétérogène.

Dans ces conditions, celui qui prend le pouvoir n’a de cesse que de se prémunir contre ses ennemis qui sont nombreux. Et il aura d’autant plus peur que lui-même, pour maintenir ce pouvoir, aura recouru à des méthodes brutales, voire sanglantes, et qu’il aura de ce fait développé des haines et des désirs de vengeance, à titre personnel ou comme représentant de sa Communauté.

Ce qui le poussera naturellement à prendre deux types de précaution :

-tout d’abord, s’entourer de structures de force (garde présidentielle, unités militaires spécialisées) d’une fidélité à toute épreuve qu’il obtiendra à travers un recrutement préférentiel dans sa communauté ethnique qui lui est affectivement liée. Progressivement, le pouvoir aura tendance à se coaguler autour des structures de force et de répression fondées sur la tribu du Chef qui se déclare prête à mourir pour lui, et qui d’ailleurs, finira par s’identifier au Chef et percevra toute contestation comme une haine dirigée contre la tribu, et non la légitime mise en cause de ses mauvais résultats. D’ailleurs, la contestation elle-même donnera du grain à moudre à cette interprétation, en tenant un discours reliant les défauts réels ou supputés de le tribu du Chef à leur incapacité de bien gérer, ce qui aura pour effet de durcir encore les positions et d’enfermer la communauté sur elle-même.

-en second lieu, le pouvoir va tisser un puissant réseau de clients qui en tirent d’importantes prébendes, et dont le rôle est d’assurer la représentation symbolique de leur tribu sur la table commune pour entretenir l’illusion de l’unité nationale.

De manière irréversible, le système politique bascule dans une trappe où toutes l’essentiel des ressources est consacré à la protection et la pérennité du régime. Ce n’est pas dire que rien n’est engagée pour le développement : mais les actions retenues sont choisies moins pour leur efficacité opérationnelle que pour leur impact promotionnel sur la pérennité du régime. D’où une tendance aux réalisations à forte consonance médiatique et démagogique et à impact à très court terme.

Ce système est très dangereux pour plusieurs raisons. D’une part, il n’a pas de souplesse fonctionnelle et débouche, soit sur un modèle rigide, centralisé et brutal, soit à l’instabilité politique. Incapable d’entraîner le développement puisque toutes les ressources sont consacrées à la promotion du régime, il n’autorise pas de saine démocratie. Il empêche des transitions en douceur, car les centres de force (partis, haute administration, unités militaires) développés par le précédent régime interfèrent dans le choix du nouveau Chef d’Etat, allant quelquefois à imposer le fils du défunt, au risque de susciter des réactions de violence des camps opposés, voir des rebellions.

Cette évolution est d’autant plus imparable que le pays est hétérogène et sous-développé, à l’instar du Cameroun. Bien plus, elle s’aggrave avec le rationnement du système et le prochain président, si le système est maintenue, sera plus porté encore à amplifier cette logique. Personne ne peut donc gérer le système post-Biya de manière sereine sans une réforme en profondeur du système. Quel que soit le cas, le prochain Chef d’Etat aura tendance à reproduire la même évolution : création d’une garde présidentielle axée sur son groupe ethnique, nomination des siens aux postes stratégiques, création d’une clientèle d’affidés auprès de toutes les communautés, épuisement des ressources pour le pérennité du pouvoir, tendance à la pharaonisation, etc.

Le paradoxe du « Gouvernement patriote » est là : vous ne pouvez maintenir votre pouvoir et appliquer votre patriotisme que si vous pouvez résister aux agressions de vos ennemis. Et pour résister à ces agressions, vous devez avoir la fidélité de l’armée. Et pour avoir la fidélité de l’armée, vous devez vous appuyer sur votre tribu ! Pour éviter les rebellions, vous êtes obligé de créer l’illusion d’une unité nationale en vous appuyant sur une clientèle issue des autres communautés.

Et pour entretenir votre clientèle et la fidéliser, vous devez la séduire, lui laisser des passe-droits et amplifier la corruption ! Il n’est donc pas possible de bien gérer le Cameroun tel qu’il est formaté. Car, bien gérer le Cameroun, c’est prendre des mesures qui ne plaisent pas à tout le monde, et surtout, aux forces réellement opérationnelles. Qui va vous permettre de vous attaquer aux intérêts des groupes puissants, à moins précisément de vous appuyer aussi sur des groupes d’intérêt présentant une puissance supérieure, à l’instar d’une garde présidentielle bien armée, fidèle et méchante ? Nous ne sommes pas ici dans un environnement de philosophie, où on évoque le charabia sur la volonté d’un peuple, mais dans un monde darwinien, fondé sur des rapports de force, lesquelles s’incarnent par des balles et des guerres.

Et celui qui prétend venir gouverner le Cameroun en l’état actuel, sans les nécessaires réformes en profondeur qui s’imposent est un imposteur et un menteur qui, en réalité, convoite secrètement de faire ce qu’il reproche à Biya et à Ahidjo d’avoir fait : jouir d’un pouvoir pharaonique, tout en mettant en évidence sa tribu et son réseau national de clients. Mais ce n’est plus sûr que cela soit encore possible avec l’évolution actuelle ; en réalité, l’après-Biya se dessine plutôt mal pour le Cameroun. La solution est donc de mettre fin à ce système, en purgeant l’Etat central de toute cette puissance qui fait sa monstrueuse séduction. Il s’agit de le débarrasser de toutes ces missions que peuvent mener les Régions, les Cantons et les Communes, en ne lui laissant que le strict minimum requis, à savoir, les affaires étrangères, la défense, la haute sécurité, les politiques macroéconomiques, la monnaie, les infrastructures de haut niveau (chemins de fer, autoroutes interrégionales, grands barrages, etc.) ou la coordination.

Le reste des missions doit être éparpillé sur le territoire, auprès des divers segments communautaires qui se présentent sous la forme d’Etats Fédérés, de Cantons et de Communes, chaque niveau en ce qui le concerne. Du point de vue du pouvoir, cette réforme permettra de réduire la monstrueuse séduction du pouvoir central, source de tous les antagonismes entre les communautés et par suite, du tribalisme, des guerres et de la corruption généralisée.

 

Dieudonné ESSOMBA