Cameroun : les zones anglophones en proie à une crise humanitaire

L’ONU et les ONG ont tiré la sonnette d’alarme, début avril, sur la situation humanitaire dans les régions anglophones du Cameroun. Depuis plus d’un an, le pays est secoué par une crise socio-politique sur fond de séparatisme.

Prises entre deux feux, les populations des deux régions anglophones du Cameroun, où s’affrontent depuis plusieurs mois l’armée et les séparatistes anglophones, font face à des besoins humanitaires grandissants dans des zones très difficiles d’accès pour les ONG.

Il y a « de nombreux besoins humanitaires » pour les cinq millions d’habitants des régions anglophones, explique à l’AFP Allegra Maria Del Pilar Baiocchi, coordinateur humanitaire de l’ONU pour le Cameroun. La crise a « un impact sur les civils qui va au-delà des violences : un impact sur la santé, sur l’emploi », affirme-t-elle.

Depuis plus d’un an, les régions camerounaises du nord-ouest et du sud-ouest sont secouées par une profonde crise socio-politique alimentée par des velléités séparatistes.

Au fil des mois, et en réaction au fort déploiement de troupes opéré par Yaoundé, la cause indépendantiste a pris de l’ampleur et la crise s’est peu à peu muée en conflit armé marqué par des attaques isolées contre les symboles de l’État. Des fonctionnaires sont aussi régulièrement visés par des enlèvements. Mercredi 11 avril, un ex-président de la Cour d’appel du Sud-Ouest, Martin Mbeng, enlevé dimanche, « a été libéré », a affirmé un responsable régional de l’armée.

« Comme dans tout scénario de conflit armé, la population civile paie les conséquences de la violence, de l’insécurité et de la peur », explique à l’AFP Alberto Jodra Marcos, chef de mission de l’ONG Médecins Sans Frontières-Suisse au Cameroun.

Quarante mille déplacés internes

Selon les estimations de l’ONU, il y aurait « des dizaines de milliers » de déplacés internes dans les régions anglophones. Dans les deux seuls arrondissements de Mamfe et Kumba (région du Sud-Ouest), parmi les plus touchés par la crise, l’ONU estime à 40 000 le nombre de déplacés internes. Mais il est « impossible » de connaître le nombre exact de civils déplacés, selon une source humanitaire, qui ajoute : « l’accès est impossible en zones anglophones, on ne sait pas ce qu’il s’y passe ».

De fait, le gouvernement limite les possibilités de déplacement dans les deux régions soumises à des couvre-feux pour les civils et où les ONG sont rarement autorisées à se rendre. « C’est compliqué pour les organisations comme la nôtre de faire des missions de terrain. Nous sommes en situation de guerre. Nous ne pouvons pas envoyer des collaborateurs partout », explique Me Agbor Bala Nkongho, directeur de l’ONG Centre pour les droits de l’Homme et la démocratie en Afrique.

En plus des déplacés internes, de nombreux Camerounais ont fui les violences vers le Nigeria voisin. Selon l’agence nigériane locale de gestion des urgences (Sema), ils étaient 34 000 à avoir trouvé refuge dans l’État de Cross River dans le sud-est du pays.

Si un premier camp de réfugiés formel financé par le gouvernement de Cross River et soutenu par l’ONU a bien été annoncé, l’immense majorité des réfugiés camerounais au Nigeria sont « pris en charge par les communautés locales », selon John Inaku, directeur du Sema.

« La situation est très difficile pour nous. Nous accueillons les réfugiés dans nos maisons et nos chambres, parfois plus de 20 personnes dorment dans la même chambre », explique ainsi Peter Kechi, chef du village de Bashu, à 5 km de la frontière avec le Cameroun où la population est passée de 1 500 personnes à plus de 4 000 en quelques mois.

« Situation précaire »

Selon des témoignages recueillis par l’AFP, les Camerounais traversent la frontière à pied, dans des zones montagneuses et de forêt dense très peu accessibles du fait du manque de routes, rendant difficile leur enregistrement. Mais « les arrivées continuent », explique Mme Baiocchi, alors que l’ONU a enregistré 20 485 Camerounais au Nigeria. « On vient de rentrer d’une mission d’évaluation en régions anglophones (du Cameroun), on sait plus ou moins où sont les besoins, on sait quels sont les besoins, la prochaine étape est comment y répondre » , ajoute-elle, jointe par téléphone depuis Libreville.

Dans les régions anglophones, MSF a d’abord fait de la formation, « sur la prise en charge des blessés et des traumatismes », puis « des dons de médicaments et de matériel ». Mais « la fuite du personnel et la fermeture de certains centres de santé laissent de nombreuses communautés dans une situation précaire », explique M. Jodra Marcos. D’autant plus que, depuis le début de la crise, de nombreuses écoles ont été incendiées par des séparatistes. L’armée est aussi régulièrement pointée du doigt par des ONG et des témoignages dans la presse pour des exactions sur les populations civiles.

Début avril, un défenseur des droits de l’homme a ainsi accusé l’armée d’avoir tué plusieurs civils dans l’incendie de leurs maisons. Il y a « de la désinformation de la part de certaines ONG », se défend à l’AFP une source sécuritaire, tandis que Yaoundé a toujours démenti en bloc les accusations d’exactions.

Depuis octobre 2016, la minorité anglophone, qui représente environ 20 % des 22 millions de Camerounais, répartie dans deux régions sur les dix que compte le pays, proteste contre sa « marginalisation » dans la société. Une crise socio-politique qui s’est peu à peu muée en conflit armé de basse intensité. Outre les séparatistes qui réclament la proclamation d’un nouvel État l' »Ambazonie », des anglophones exigent le retour au fédéralisme qui a prévalu dans le pays entre 1961 et 1972, avec deux États au sein d’une même République.

 

 AFP

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