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Cameroun : « pas moins de 90% des Anglophones en ce moment ont tourné le dos à l’unité nationale », Paul Ayah Abine

Paul Ayah Abine

Le Magistrat hors hiérarchie à la retraite et ancien avocat général auprès de la cour Suprême a accordé une interview à nos confrères Agora-Mag, dans laquelle il évoque les menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre unité nationale. Selon lui, cette unité nationale est « largement aléatoire. Elle est écrite dans les livres mais elle reste intangible, voire impraticable ».

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Comment vivez-vous l’unité nationale au Cameroun? Est-elle une réalité ou un mythe ?

L’unité nationale au Cameroun est largement aléatoire. Elle est écrite dans les livres mais elle reste intangible, voire impraticable. C’est une simple notion de droit qui n’a jamais été concrétisée. Comment parler de l’unité nationale alors même que celui qui incarne la nation, le Président de la République, s’adresse au pays dit bilingue dans l’une des deux langues pendant des siècles ? Pour le Camerounais moyen, le Président en le faisant, a choisi les siens (son coté). L’unité nationale ne se décrète pas : sa place n’est pas dans les discours démagogiques. L’unité nationale se sent; elle se vit au quotidien. L’unité nationale est le fait de se sentir parmi les autres -se sentir à l’aise partout sur l’étendue du territoire national. C’est aussi le fait de se sentir accepté par les autochtones, sans des préjugés sectaires.

Ne fait-on pas souvent trop de confusion entre le vivre ensemble et l’unité nationale au Cameroun? Quelle est la différence entre ces deux notions?

Mais bien sûr que oui ! J’entends ces derniers jours la chanson de « vivre ensemble ». J’entends parler de la commission de vivre ensemble. Je viens de dire qu’il ne s’agit pas dela propagande. Tout provient du sentiment personnel : sentiment intérieur.

Le vivre ensemble ne peut jamais se mesurer à l’unité nationale. Dans notre pays, nous vivons ensemble avec d’autres nationaux. Cela n’a rien à voir avec l’unité nationale. Il est vrai que le vivre ensemble nait de l’unité nationale. Mais il faut d’abord qu’il existe le sentiment d’appartenance à un espace géographique déterminé et délimité. Le seul fait de vivre ensemble ne suffit pas. C’est comme le mariage. Vivre dans un foyer sans avoir rempli des formalités édictées par la loi et obéir aux normes qui régissant le vivre ensemble entre des époux ne répond pas à la définition de mariage. Mais les deux personnes vivent ensemble.

Pour me résumer, l’unité nationale veut dire le sentiment d’appartenir à un espace géographique déterminé, et la volonté d’accepter les autres pour la protection d’intérêts communs. C’est une notion étendue et perpétuelle. Alors que le vivre ensemble est très restreint et souvent éphémère.

Vous avez vécu pendant des années dans plusieurs régions du Cameroun. Quelles sont les faits marquant de votre carrière en ce qui concerne l’unité nationale dans ce pays ?

En tant qu’Anglophone et de mon expérience dans mes multiplies rapports avec d’autres Anglophones pendant des décennies, je peux affirmer que la grande majorité des Anglophones a la volonté d’appartenir à une nation camerounaise. N’oublions pas que ce furent les Anglophone qui de leur propre gré, ont voté le 11 février 1961 pour retrouver leurs « frères de l’est ». Malheureusement, les dirigeants Francophones ont tout fait pour bafouer la bonne foi des Anglophones.

Au niveau bien élevé, des personnalités Francophones ont appelés les Anglophones « ennemis dans la maison », et elles les ont sommés à rentrer chez eux. A maintes reprises des dirigeants Francophones ont appelé des Anglophones « Biafrais ». Pendant de longues années, ces dirigeants ont fait de l’Anglais, une langue de seconde classe en dépit des dispositions constitutionnelles. Et tout ceci a été traduit dans les nominations. L’Anglophone était constamment Adjoint : même s’il était en pole position. Inutile d’aller dans les détails. Mais je ne peux ne pas faire mention de mon cas, à la Cour Suprême. Magistrat hors hiérarchie premier groupe indice 1.400, mon supérieur immédiat, un Francophone, était un magistrat hors hiérarchie deuxième groupe indice 1.115. Même devant une opposition farouche et répété de quelques journalistes Francophones, la présidence de la République est reste sourde jusqu’à ma retraite. Et quelqu’un pense que l’Anglophone se sent accepter à part entière ? Si je me mettais à tout raconter, ce serait écrire une bible!

La crise Anglophone enfreint-elle à l’unité nationale ?

Absolument ! Pour dire la pure vérité, pas moins de 90% des Anglophones en ce moment ont tourné le dos à l’unité nationale. Ceux des Anglophones qui « mange encore les miettes qui tombent de la table d’honneur » peuvent mentir en faisant des déclarations qui plaisent à ceux qui dirigent aujourd’hui. Ils vivent a l‘est du Mungo, coupes des réalités sur le terrain. Depuis ma libération, je vis à Buea en dépit du fait que certains Anglophones à Yaoundé demandent ma tête. Je vis au quotidien la vérité des atrocités que subissent les Anglophones chaque jour. L’état a fait comprendre aux Anglophones, que leurs vies n’a pas d’importance. Dans l’histoire, les dirigeants ont fait la guerre contre les autres, en faisant croire que cette guerre était nécessaire pour leur protection. Si vous menez une guerre sans merci contre les vôtres, cela voudrait dire que vous ne les considérez pas. Et quand les vôtres font des appels au génocide contre ceux-là sans que vous ne le décriez, comment convaincre les victimes qu’eux aussi sont les vôtres ?

En tant que juriste de renommé, et homme politique, que préconisez-vous pour l’effectivité ou l’avance de l’unité nationale au Cameroun ?

Les dirigeants actuels ont tout détruit. Même les plus modérés ont perdu espoir. Pendant toutes mes législatures, je n’avais cesse d’appeler au dialogue. J’avais proposé la mise en place d’une commission de vérité et de la réconciliation à la sud-Africaine. Je me suis battusans cesse d’induire des autorités à veiller à la primauté de la loi: à la suprématie de la justice... Mais personne ne m’a accordé l’oreille.

Et rien n’a changé jusqu’à présent. Ou bien, tout a changé pour le pire. Jusqu’à ce que les dirigeants actuels fassent demi-tour; ou jusqu’à ce qu’ils quittent la scène, il est presqu’impossible de voir la porte de sortie… Je préfère ne pas m’hasarder à proposer rien qu’un début de solution !