Le professeur d’université américaine d’origine camerounaise, Patrice Nganang, livre son sentiment après le concert du rappeur Valsero, samedi dernier au Zenith de Paris.
J’ai regardé le concert de Valsero. Il est vraiment impossible de me trianguler. Im-po-ssi-ble. Voici pourquoi. Jamais je n’ai autant vu le drapeau vert-rouge-jaune. Partout, partout. C’est quand même intéressant, cela, au moment même où, problème indiscutable de notre génération, les Anglophones sont obligés de prêter serment au vert-rouge-jaune au pays, et sont abattus quand ils ne le font pas. Comme nos parents bamileke lors du cadi au chien noir, de 1960-1970. Mais en fait je me demande aussi ce qui a fait que, sorti de prison le 27 decembre 2017, de la même prison de Kondengui où Valsero était, j’aie absolument adopté la position anglophone. Plus je reflechis, plus je me rends compte que c’est peut-être parce que en 2016, à Madagascar, j’avais passé 24/24, abandonné mes amis, ma famille qui est pourtant à Yaoundé, pendant 61 jours avec les Anglophones, à construire une école bilingue à Yaounde – sous la pluie, sous le vent, terrible, absolument terrible. Et l’école est là, debout, a déjà accueilli et formé des centaines d’enfants anglophones.
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Un souvenir de Facebook m’y a ramené. Je crois que cette expérience physique absolue, où j’étais seul et absolument seul, et je sais que plusieurs de mes amis vont protester, mais je répète, seul, quittant de NYC pour un quartier de Yaoundé à mes propres frais pour faire ça, m’avait absolument ému – cad. mis dans les chaussures des Anglophones.
Du coup, j’ai adopté leur point de vue, et je le comprends. Vous m’avez vu depuis ma sortie de prison le deployer ici, sur cette page, et partout où je suis. En français. Au point où à la place de ‘ekelebe’ comme ils disent, j’ai immédiatement traduit par ‘bulu’ et désaxé plusieurs jusqu’aujourd’hui. To strike in the heart of the beast, comme on dit en anglais.
Pour frapper dans le cœur du monstre. Je remercie une fois de plus mes amis ambazoniens, et cela de tout mon coeur, de Kondengui et de partout sur la terre, cad. d’Afrique du sud à Paris, de Rome à Johannesburg, qui ont fait de moi l’écrivain dont j’ai toujours rêvé. Conrad Tsi, Penn Terrence, en tout premiers, vous qui êtes encore en prison, ces repas collectifs chaque jour, avec le Parlement ambazonien m’ont fait devenir ce que je suis. Et comment! Seul face à face avec la vérité, et l’histoire qui se fait. L’écrivain n’aime pas les meutes. Parce que les meutes sont écervelées, cad qu’elles n’ont aucune conscience historique.
Wata na wata.
Concierge de la république