Cameroun: Que retenir de l’Unité Nationale ?

Le 20 mai 1972 constitue désormais une date mémorable, plus encore comémorable pour le peuple camerounais. Une date choisie pour célébrer la réunification du Cameroun anglophone et le Cameroun francophone et mettre ainsi afin à l’Etat fédéral. Alors que s’est-il passé depuis 1972 jusqu’à ce jour où le Cameroun célèbre sous fond de crise socio politique dans deux régions du Cameroun la 51e édition de la fête nationale de l’unité ?

Il faut rappeler que depuis l’indépendance du Cameroun le 1er janvier 1960, le Cameroun a axé comme le disait le Président Ahmadou Ahidjo son action dans la recherche persévérante de l’unité dans un pays qui a hérité de l’histoire, la plus grande diversité d’ordre ethnique, religieux, culturel. Il s’agissait d’ériger, d’organiser cette mosaïque de races, de cultures, de valeurs en une « authentique nation »[1] . D’après le Président Ahmadou Ahidjo, l’unité nationale était conçue comme la conscience du peuple camerounais d’être engagé dans un même dessein au sein d’une patrie. Il était question d’une base solide, un creuset au sein duquel pouvait se bâtir le développement du Cameroun. De nos jours, l’unité nationale devient de plus en plus festive dans les actions du jour du 20 mai et moins visible dans le quotidien des Camerounais.

On aurait souhaité voir après 50 ans, les fruits murs de l’unité nationale. Car, comme nous le savons, pour le cas du Cameroun, l’Etat avait précédé la nation contrairement à ce qui s’est fait ailleurs. Il fallait de ce fait, concentrer plusieurs efforts pour parvenir à une identité camerounaise à travers laquelle les Camerounaises et les Camerounais de tout bord pouvaient se reconnaître. Les efforts n’auraient certainement pas suffi, car de nos jours plusieurs problèmes socio-politiques continuent à se poser avec acuité : c’est le cas du repli identitaire, les problèmes fonciers et le tribalisme qui commence à atteindre des proportions inquiétantes. L’Etat du Cameroun s’est engagé mais sans trop d’énergie pour venir à bout de ce phénomène qui constitue un grand frein au développement du Cameroun. En ce sens, nous pouvons citer la loi N° 2019/020 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi N°2016/007 du 12 juillet 2005 portant code pénal à son article 241-1.- (nouveau) qui punit d’un emprisonnement de un (01) à deux (02) ans et d’une amende de trois cent mille (300 000) à trois millions (3 000 000) de francs , celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique. On en vient à se demander s’il existerait un vide juridique concernant des actes de tribalisme et d’exclusion sociale. Chaque jour qui passe, les discours haineux, tribalistes et de repli identitaire font leur lit dans les espaces virtuels (réseaux sociaux) et non virtuels. Certains plateaux de télévision sont écumés par des personnalités qui font la promotion du tribalisme au point de dire que « chacun devrait rentre chez soi ». De quelle unité nationale s’agit-il dans ce cas ? Dans le dictionnaire Larousse, le mot unicité qui dérive du mot unité signifie : caractère de ce qui est commun à plusieurs, qui est identique pour plusieurs personnes. Malheureusement, pour le commun des Camerounais, l’unité reste un vain mot, un mot vide de sens, un mot qui a perdu toute sa consistance fondamentale voulue par ceux qui ont posé les bases de l’Etat indépendant du Cameroun et par ricochet l’Etat unitaire.

Il est certes vrai que nous notions encore jusqu’à une date récente quelques acquis de l’unité nationale. Le Camerounais pouvait circuler partout au Cameroun sans avoir peur pour sa sécurité, le Camerounais était fier d’apprendre d’autres langues locales en dehors de sa langue maternelle. Aujourd’hui, la cohésion sociale reste une véritable utopie, la crise dans les parties anglophones (NOSO) du Cameroun est venue vient tout bouleverser en mettant en péril tous les efforts d’intégration. En effet, les anglophones vivent la réunification comme un régime de « francophonisation » du pays, et donc comme une autre forme de colonisation[2]. Il est très difficile de célébrer le jour du 20 mai lorsqu’on sait que la partie anglophone est plongée dans une crise depuis 2016.

Comment pouvons-nous dans le contexte actuel camerounais penser que l’unité nationale est une réalité lorsqu’on sait qu’il existe une mauvaise répartition des richesses nationales avec pour corolaire le creusement du tissu social qui va grandissant. C’est d’ailleurs ce qui explique la non application de l’article 66 de la constitution camerounaise portant sur la déclaration des biens. Il n’existe pas une égalité de chance pour tous, les élites politiques ne pensent qu’à leurs familles nucléaires, aucune véritable politique pour l’intégration de la jeunesse aux instances décisionnelles de l’Etat ni dans le monde professionnel. Le peu de subvention dédié à la jeunesse camerounaise n’échappe pas à la logique des réseaux qui reste assez forte dans les habitudes des Camerounais.

Depuis le début de la crise du NOSO en 2016 jusqu’à ce jour (20 mai 2023), toute fête de l’unité nationale au Cameroun est désormais problématique, car si tant il est vrai que cette fête est le symbole de la réunification du Cameroun anglophone et francophone et qu’il existe un mouvement de contestation d’une partie des groupes qui forment l’unité célébrée, alors la symbolique de la célébration doit perdre tout son sens. Il est urgent que la notion de l’unité nationale qui se célèbre tous les 20 mai cesse d’être un moment privilégié de festivités teintées de bruits et d’exposition symbolique des forces militaires et policières pour devenir un temps d’arrêt et de réflexion profonde permettant la construction d’une vraie et solide unité nationale.

 Par Fleury ESSIANE

[1] Interview du Président Ahmadou Ahidjo dans le journal le monde en septembre 1971

[2] Yves Mintoogue, chercheur camerounais en histoire et en sciences politiques, lors d’une interview accordée à TV5 monde le 21 mai 2022

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