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Épître aux lecteurs : Merhoye Laoumaye nous parle de l'infortunée

MerhoyeLaoumaye

Nous sortons tout grisés encore d'une Coupe du monde palpitante. Mais imaginez qu'après nous avoir régalés du grand spectacle, Lionel Messi veuille bien nous faire le plaisir de nous parler de long en large de sa performance de ouf lors de cette finale de la Coupe du monde Qatar 2022, contre la France de notre frère Kylian Mbappe. Ce serait le pied !... C'est pourtant à peu de chose près, bien que dans un tout autre contexte, le pari qu'entend relever le romancier Merhoye Laoumaye , qui a bien voulu condescendre à nous entretenir à satiété au sujet de son livre intitulé « L'infortunée ». Il faut préciser que l'ouvrage a été présenté il y a une semaine dans une chronique intéressante signée Palabre Intellectuelle ;  ladite chronique est disponible sur la toile, notamment sous le titre : « Moi j'aime l'infortunée de Merhoye Laoumaye ! ». Il est écrit dans l'article que « L'infortunée de Merhoye Laoumaye s'inscrit dans le registre des œuvres qui, sans forcément nous émerveiller, nous passionnent, nous questionnent sur les problématiques insolubles de la condition humaine ». Une telle assertion peut avoir suscité plus d'une interrogation dans les esprits. Et voici, Merhoye Laoumaye a eu la bonne inspiration de répondre dans une longue lettre rapportée ci-dessous à toutes les curiosités possibles. C'est une grande marque de considération de l'auteur à l'endroit de ses lecteurs réels et potentiels, en plus de les éclairer sur les motivations qui l'ont amené à imaginer et écrire « L'infortunée », sur le rapport de son œuvre à la réalité, sur les injustices sociales qu'il dénonce... Le tout dans une prose généreuse, tantôt poétique, tantôt philosophique, où les mots foisonnent, et qui vous laissera songeur. Sur ce, nous vous souhaitons une agréable lecture.

« En farfouillant l’alphabet de fond en comble pour produire cet ouvrage, je croyais sincèrement qu’il n’était que le fruit pas mûr de mon défoulement aux séquelles ô combien cruelles des malheurs qui n’ont cessé de tarabuster ma chienne de vie. J’ignorais que l’éditeur devait l’exposer si ostentatoirement sur la place publique. Ce roman, « L’infortunée », j’avoue que je l’ai écrit tout bonnement, en évitant soigneusement les allusions, les allégories, tout en pensant au fond de moi qu’en dehors de la passion qui se dessine dans le comportement de mon héroïne Marie, ce livre reste pour moi un miroir dans lequel je perçois la société, cette société-là, telle que je la vois... Toutefois, si le lecteur a beaucoup de la patience pour lui accorder un temps d’exploration, il s’interposera volontiers entre l’éditeur et moi pour m’aider à trancher…. Car, mon éditeur m'a confié en secret ceci : « Ils vous mutileront de la sublime beauté de cette glace, non par répugnance, mais simplement à cause de cette subtile attention et ce regard attachant que porte le lecteur contemporain sur tout ce qu'il lit ».

En réalité, en peignant cette héroïne de ma plume humide, je me suis simplement laissé emporter de manière onirique par les douces illusions de mon art. C’était à des moments où ma sacrée muse me tendait la main, tantôt au crépuscule, tantôt au milieu de la nuit quand tout s’endort, parfois à l’aube quand tout s’éveille. À ces moments-là, mon âme est bien éloignée des pensées acides et corrodantes de la rancune et de la haine. Et toutes les fois qu’il m’était donné de choisir entre deux extrêmes, mon cœur s’était jusqu’ici penché, et continuera de pencher vers le plus aimable.

J'ai commencé l’écriture du roman « L’infortunée » par les 15 premiers chapitres, entre 1991 et 1993, je n’ai réussi à l’achever qu’en 1997, après trois années d’interruption due à la perte de deux êtres très chers, d’abord ma mère, puis mon fils Fréderic. Ces deux évènements ont marqué mon existence de blessures indélébiles qui n’ont cessé de m’affliger jours et nuits. Ce fut à ces moments, où le goût de la vie devenait de plus en plus aigre, qu’apparut sur mon chemin un certain Nadjiber Daniel, l’éditeur qui, mû par je ne sais quelle main invisible, se résolut 36 années plus tard à dépoussiérer l’ouvrage et à le sortir de l'hibernation pour enfin le mettre en lumière en 2017, dans un coffret constitué de mes cinq ouvrages qu’il publia en un seul coup. Entre temps… il a fallu du temps, comme dirait quelqu’un… Je prends cette chronique singulière pour simplement dire qu’il se dresse parfois dans la vie de chacun de nous des caricatures fort désagréables que les hasards de la naissance ou l’exode, la fortune ou l’infortune, le crime ou l’adultère, la joie ou la misère, ont placées dans des positions qu’on convoite, ou qu’on dénigre. Eh oui ! je reconnais avoir mis en scène des individus qui peuvent avoir des cultures identiques ou pas, gentils ou non, riches ou pauvres, nobles ou misérables…

Tenez ! S’il vous arrivait de demander aux oiseaux du ciel « comment vous voyez la ville de Garoua », ils diraient : « Garoua est une vallée parsemée d’arbres touffus portant de jolis fruits juteux, et des branches favorables à la construction de nos nids, … » Nous autres vadrouillards allons répondre : « Garoua est une ville ombrageuse qui atténue les affres du fort soleil d’avril, mais où les autorités nous demandent d’aller au lit à 19 heures, on ne sait trop pourquoi…. » Les étudiants diront : « Garoua est une ville où les neems offrent des ombres très favorables aux études pendant les mois chauds… » Pour le poète : « Garoua ressemble à cet îlot d’amour aux arbres gigantesques, à l’ombre desquels des canaris d’eau destinés aux passants se laissent fièrement rafraîchir par la brise attendrissante de midi… » Alors, vous qui me lisez conviendrez avec moi que c’est en fonction de sa position et de son intérêt personnel que chacun jugera la ville de Garoua.C'est dans des termes somme toute opposés que je perçois l'état actuel de la société, où foisonnent des personnes saines, respectables, exécrables ou non et qui veulent librement suivre des routes différentes ; des routes qui, me semble-t-il, devraient conduire vers un bonheur rêvé. Et Ngarihari, Fatia, Dogari, Boutou, Dagobert et autres vautours de ce drame revêche et enraciné, en sont les témoins vivants dans ce roman : « L’infortunée ».

Par cette vision rouge, je dessine et présente au monde en général et à l’Afrique en particulier la société telle que je la vis, moi… peut-être pas vous, c'est selon...J’ai voulu dénoncer à ma manière la détérioration de la dignité humaine par la pauvreté, la décrépitude de la femme par l’absence d’amour, les cris de douleurs sourds et inaudibles de l’infortunée, l’héroïne Marie qui, telle une petite fille égarée, s’était vue jetée à la merci des fauves incrédules et sans foi ni loi ... En effet, tout humblement je pense ceci : « Tant qu’il y aura sur cette terre un châtiment social créant avec une fatalité humaine fracassante des géhennes artificielles ou non, et qui obscurciront les destinées des laissés-pour-compte ; tant que l’ignorance et la pauvreté se côtoieront dans cette société de charognards et de brebis ; tant que dans certains coins de la terre, l'asphyxie sociale sera admise comme modèle d’oppression, tant que des jeunes filles seront vendues comme du bétail par des sociétés machistes… alors un livre comme « L’infortunée » ne peut pas être une œuvre vaine ».

Je sais également que le monde d’aujourd’hui ne lit plus… ou de moins en moins… Mais je vous invite malgré tout à partager avec moi ce dialogue sourd, endormi dans ces pages blanches salies par mes soins à coups d’alphabets et de mots façonnés de manière malhabile, sur fond de tremblotes…. Pour cela, je mendie un peu de votre temps, de votre précieux temps, de votre opiniâtreté, de votre absence d’illusion, de la solidité de votre esprit, pour ouvrir une page après l’autre, visiter un paragraphe après l’autre…

Et moi donc, j’avoue que je ne peux me retenir d’écrire, car je ne suis pas un être parfait.Voilà pourquoi, lorsque je m’approche du miroir pour y scruter les étoiles, pourvoyeuses d’inspiration, je perçois que la plus belle d’entre elles porte encore sur sa robe étincelante des taches baroques et des fausses notes qui me chagrinent davantage. Il m’est parfois donné de rencontrer des êtres qui apparaissent à mes yeux comme des modèles dotés d’une grande intégrité de l'âme et de l’esprit. Et que subitement, pour des raisons inavouées, l’on vienne m'apprendre quelque ignominieuse hachure qui les défigure, je m'en chagrine, même sans les connaitre, comme si ces malheurs m’étaient destinés, voire personnels. J’ai vu des frères, amis et personnes inconnues croupir dans des prisons en se demandant à chaque minute qui s’égrène : « Qu’ai-je fait pour mériter cette peine ? Quel crime ai-je commis pour être sacrifié sur l’autel de l’innocence ? Pourquoi… pourquoi moi ?...» Toute chose qui me pourfend le cœur qui n’arrête pas de saigner abondamment. Eh bien, c’est ce cœur bléssé qui me donne cet imputrescible courage d’interpeler l’alphabet à la rescousse pour essuyer mes larmes avec des mots à la fois virulents et sédatifs. Oui ! je vis à perpétuité sous les ailes de ma colombe blessée par des cruels artisans des contradictions amères de l’existence et qui n’ont jamais cessé de m’inspirer…

Oui ! J’écrirai tant que mon inspirateur me tiendra la main ! J’écrirai tant que je continuerai à respirer un jour après l’autre. Mais avant, je mendie un peu de votre indulgence car je n’ai présenté qu’un miroir, et cette glace ne reflète que ce qu’elle voit, n’affiche que ce que vous lui présentez, sans modification aucune ni commentaire. En somme, j’ai fabriqué un outil, l’éditeur en a fait un « bien public ». Ce ne sera ni la faute du miroir qui réfléchit votre image, ni celle du menuisier qui l’a fabriqué, encore moins celle du quincailler qui a livré les ingrédients, si des gens inélégants se sont arrêtés un instant devant cette glace (pour se mirer je suppose). Est-ce la faute du miroir si vous y apparaissez comme un monstre ? Non ! Mon miroir n’y est pour rien, alors de grâce, ne le brisez pas, car des personnes plus aimantes viendront s’y mirer abondamment.

Chers lecteurs, il se pourrait que vous déceliez par endroits, coincées dans quelque page de ce roman, des façons très candides et incongrues d’accoucher mes pensées. Toutefois, cela ne sera pas si lassant au point de vous amener à arrêter de le lire. Non !  Il se pourrait que sous le coup de cette colère immense qui m’inonde, je me sois laissé terrasser par cette spontanéité agreste dans le style rédactionnel pour vous ouvrir une fenêtre sur la réflexion, une main tendue au débat… Par contre, je me refuse le droit de vous pondre des proses réjouissantes truffées de tournures prolifiques, et qui finiront par accoucher au bout de la chaine une vaine et ridicule aridité… De grâce ! Agrémentez sa saveur en y apportant un peu de vos talents, de vos doigtés intarissables. Car cet outil vous appartient ! Placez-le là où vous voulez, et quand vous pouvez !… Indépendamment de ma volonté, mon penchant scientifique m’amène à débiter tel quel ce qui me vient dans la pensée… sans vers, sans canon littéraire établi. Et si j’ai eu cet inaltérable courage de consigner mes gribouillis dans ce livre, tenez-le comme qui dirait…  « Une bouteille jetée à la mer », à l'intention de qui veut bien l’attraper…

Si d’aventure vous accordez un peu de votre précieux temps à ce fruit de l’esprit auquel moi-même je n’avais pas cru à l’aube de son inspiration…, je saurai garder dans les profondeurs intimes et sacrées de mon cœur les secrets de tous les souvenirs de votre soutien à porter plus haut la voix de Marie. Vous aiderez ainsi cette âme infortunée à oublier son chagrin aussi longtemps que la cruauté de l’Homme règnera sur des familles impuissantes et au-delà de la mort… afin qu’elle retrouve enfin auprès de vous cet amour qu’elle n’a jamais connu. Oui ! Auprès de vous, je sais que Marie, notre héroïne retrouvera à l’infini ce sourire que connaissent seules les âmes bien nées, car jusqu’à son ultime agonie, sa révolte n’a jamais flanché. »

L'auteur : Merhoye Laoumaye

« L'infortunée » de Merhoye Laoumaye était en lice à l’édition 2016 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL