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Grève des enseignants au Cameroun: indicateurs d'une faiblesse du syndicalisme et d'une gouvernance inappropriée

À la suite du discours de fin d'année à la nation le 31 décembre dernier, le Collectif des Organisations d'Enseignants du Cameroun (COREC), incluant le SECA (Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l'Afrique), principal soutien du mouvement OTS (On a Trop Supporté), a décidé d'une trêve pour permettre au gouvernement de respecter la parole présidentielle. Dans cet d’article d’opinion rédigé pour envisager une sortie de crise, le Dr Sandjong Sani analyse les péripéties de cette situation de grève, en liant les comportements des principaux acteurs impliqués à certains facteurs d'influence.

Le secteur éducatif au Cameroun est affecté depuis près de deux ans, par des mots d'ordre de grève à répétition des syndicats et des mouvements corporatistes d’enseignants, avec des phases paroxysmales circonscrites à mars 2022 et au premier trimestre de cette année scolaire 2023/2024. La réduction du délai de paiement de la dette et l’augmentation de la syndicalisation, sont actuellement les acquis importants de cette mobilisation. Face à moult péripéties dans la confrontation avec le gouvernement, les leaders des syndicats d'enseignants et les communicants du mouvement OTS ont décidé de mutualiser leurs forces par la mise sur pied d'un Collectif des Organisations d'Enseignants au Cameroun, focalisé autour de deux revendications majeures: la signature et l'application d'un nouveau statut spécial et l'organisation du Forum National de l'Éducation. Après la prise de parole du Chef de l'État sur la question dans son discours de fin d'année 2023 et la décision consécutive d'une trêve par ces leaders syndicaux, cet article analyse la dynamique des attitudes des principaux acteurs en présence dans cette grève, en les mettant en relation soit à la faiblesse du syndicalisme, soit à la gouvernance du pays.

Plusieurs facteurs relatifs à la vigueur des activités syndicales et à la gouvernance du pays en général, peuvent être considérés comme ayant influencé la naissance et l'évolution de la grève des enseignants en cours au Cameroun. Précisément, la faiblesse du syndicalisme peut être perçu comme l'un des indicateurs à l'origine des créations des mouvements de revendications corporatistes au sein du secteur éducatif tels qu’OTS, OTA (On a Trop Attendu) et TCT (Trop C’est Trop). Soupçonnés d'être inefficaces et d'avoir des leaders corrompus, les syndicats sont ainsi de prime abord mis à l'écart par les initiateurs de ces mouvements, sans toutefois empêcher le soutien des plus crédibles. Ils y voient aussi une stratégie de mobilisation de plus grande ampleur, pour passer outre la multitude des syndicats et contrecarrer les manœuvres de division imputées souvent au gouvernement. Malheureusement, l'illégalité de cette initiative fragilise les communicants et les partisans non syndiqués, qui subissent constamment des menaces, des intimidations, et des mesures répressives des autorités, visant surtout la conservation des privilèges liés à leur fonction.

Il y a donc une gouvernance quasi répressive, qui impose divers comportements en fonction des principaux acteurs impliqués dans la grève. Premièrement, dans le corps enseignant, les opposants ou les détracteurs de la grève sont généralement motivés par la grande peur des sanctions punitives des autorités hiérarchiques et l'égoïsme. À l'image du comportement individualiste de cette hiérarchie, ces enseignants non-grévistes préfèrent s'enfermer dans la préservation de leurs minables acquis, notamment leur salaire ou d'autres avantages leur permettant de joindre les deux bouts. On pourrait dès lors imaginer qu'avec un discours quasi menaçant du Chef de l'État en personne, ces enseignants devraient davantage s'enfoncer dans leur attentisme préjudiciable à leurs collègues grévistes (car les exposant aux menaces et aux sanctions), et à la satisfaction rapide des revendications.

Deuxièmement, face au contexte répressif, de nombreux grévistes pouvant être qualifiés d’opportunistes, observent partiellement les mots d'ordre de grève. Ces derniers sont psychologiquement vulnérables, mais faiblement dominés par les sentiments de poltronnerie et d'individualisme. Ils sont prédisposés à manquer de cohérence dans les actes posés, à l’instar de la conservation de leurs enseignements dans les collèges privés où ils sont pourtant moins bien payés. Confrontés à l’art de la manipulation et les manœuvres dilatoires des dirigeants, ils sont aussi en proie à une mentalité de découragement et de résignation. L’échec d’une remobilisation immédiate forte, après la première phase de la grève en 2022, était probablement dû à la prédominance de ce type de gréviste. À présent, les syndicalistes peuvent espérer une relance bien plus efficace après cette nouvelle trêve, tenant compte de l’avancée de la syndicalisation.

Les enseignants des deux groupes précédents se distinguent généralement par leur inculture syndicale, ou feignent d'ignorer les dispositions réglementaires relatives au droit de grève. Le troisième groupe d’acteurs, retrouvés toujours dans la corporation enseignante, est constitué des grévistes de conviction, profondément indignés par la mauvaise gouvernance éducative. Ils ont à cœur qu'une issue favorable n'est possible que par un engagement total dans le respect des mots d'ordre de grève. Toutefois, tenant compte des facilités à la mise en branle d'actes de répression dans la gouvernance du pays, ils vont très souvent prendre des décisions allant dans le sens du fléchissement de certaines de leurs positions. C'est ce qui peut justifier l'option d'une trêve à la suite du récent discours présidentiel de fin d'année. De plus, prenant également conscience de l'inertie de l'ordre gouvernant, ils ont décidé d'accorder le bénéfice du doute aux nouvelles recommandations du Président de la République prescrivant la poursuite d'un dialogue visant la satisfaction de leurs revendications.

S’agissant des élèves, leurs parents et de l'opinion publique en général, ils semblent ne pas avoir pris suffisamment conscience de l'impact de ce déficit en enseignements sur la qualité de l’éducation. Il est évident que la faiblesse de leurs vives protestations vives soit pareillement liée à la peur de répression. Les élèves sont particulièrement impuissants devant le système de gouvernance inerte, qui n’impose pas une diligence à trouver des solutions pour un respect de leur droit à l'éducation. Malheureusement, certains sont manipulés dans le but de les amener à culpabiliser les enseignants grévistes. Ils doivent dans ce contexte comprendre en outre que cette contrainte à subir les effets collatéraux de la grève leur sera aussi bénéfique, à moyen ou à long terme. On a coutume de dire «qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs». Ce sacrifice pourra ainsi leur permettre d'avoir des enseignants plus épanouis dans l'exercice de leur métier, et espérer un bien meilleur traitement pour ceux parmi eux qui intègreront cette profession dans l'avenir. Il s'agit pour ces élèves d’être prévoyants, en ne regardant pas uniquement les bénéfices immédiats de leur droit aux enseignements.

L’État, à travers le gouvernement et les départements ministériels concernés par la résolution de cette crise, est le principal responsable de sa perduration. L’amorce du dialogue avec les syndicats d’enseignants s'est faite sous fond de roublardise avec un déni de la réalité de la grève. Cela s'est manifesté dès la fin du mois de septembre 2023, par la prise en compte des revendications des syndicats ayant initié leur mot d'ordre de grève pratiquement un mois après celui du SECA, associé aux mouvements OTS. Les autorités étatiques à différents niveaux ont également incarné, des actions d'instigation et d'implémentation d’une gouvernance répressive à travers des actes d'intimidation et des mesures de sanctions disciplinaires. Certaines décisions rattachées à la grève sont d’une inconvenance déplorable, ou même parfois illégales. C’est le cas des mutations de poste de plusieurs enseignants grévistes qui légitiment implicitement l’incommodité de certains lieux de service, laquelle est inconcevablement négligée dans la gestion des personnels. Dans la lignée de certains membres du gouvernement, des indices du pouvoir autoritaire sont perceptibles dans le dernier discours Chef de l'État, notamment dans la partie où il aborde problèmes d’éducation. En renouvelant dans ce même message à la nation la promesse de satisfaire aux aspirations des enseignants faite déjà il y a plus de 10 ans, le Président de la République a montré l'évidence d'une gouvernance inerte qu’il avait pourtant dénoncée dans son discours du 31 décembre 2013.

Pour terminer, la faiblesse et l'inculture syndicales, les manœuvres d’intimidation et de manipulation, la gouvernance répressive et inerte, sont des facteurs faisant perdurer la grève dont le gravité de l'impact sur la qualité de l'éducation semble négligée par les pouvoirs publics. Pour un aboutissement rapidement de leurs réclamations, il est souhaitable que les enseignants s'orientent vers la légalité en se fédérant autour une organisation syndicale portant le plus activement leurs revendications, à laquelle ils devront s'astreindre à une discipline rigoureuse, notamment le respect des consignes de grève le moment opportun. Quant au gouvernement, il faut espérer que ses membres concernés par la résolution des problèmes des enseignants, reconnaissent la trêve la grève décidée par les leaders syndicaux comme un gage de bonne foi. Ils doivent ainsi s'activer pour ne pas décrédibiliser une fois pour toute les promesses présidentielles de redonner le feu sacré aux enseignants et de satisfaire à leurs aspirations et à leurs préoccupations. À moyen terme, il sera indispensable de songer à un enrichissement des cursus de formation des enseignants sur les bases du syndicalisme, et de légiférer sur l’application du droit syndical dans la fonction publique.

 

Dr Sandjong Sani