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21 août 1986 : la nuit où le lac Nyos a explosé

Il y a 35 ans, un nuage de gaz mortel se répandait dans une vallée du nord-ouest du Cameroun, tuant près de 1 800 personnes dans leur sommeil. Il a fallu des années aux scientifiques pour comprendre cette catastrophe et s’assurer qu’elle ne se reproduirait pas.

Trente-cinq ans après la plus grave catastrophe naturelle qu’ait connue le Cameroun, les témoignages des rescapés de la terrible nuit du 21 au 22 août 1986 font encore froid dans le dos. « Nous nous sommes levés et tout était blanc, comme s’il y avait eu le feu, se souvient une habitante de la vallée la plus proche. Nous sommes descendus et nous avons découvert des corps, des oiseaux morts, des bœufs et des animaux sauvages. » « Je me rappelle le silence, raconte un autre survivant. Pas le moindre chant d’oiseau, un silence absolu. »

Quel mal mystérieux avait ainsi frappé la vallée située dans le nord-ouest du Cameroun, non loin de la frontière nigériane ? Un troisième témoin se souvient d’un bruit puissant, « comme un coup de tonnerre. Ensuite je me suis senti comme ivre et le lendemain matin, mon frère et ma sœur étaient morts. »

Une arme mystérieuse ?

Dans les jours qui suivent, les autorités recensent au total 1 746 victimes, principalement aux alentours immédiats du lac Nyos, dans la ville de Subum, située à 14 km, et dans des villages et hameaux plus modestes de la vallée de la Fang. Des cadavres de chiens, chats, poulets, zébus, chèvres et ânes jonchent aussi le sol, même les insectes semblent avoir succombé. Mais les maisons et la végétation sont intactes. Il n’en faut pas plus pour que certains évoquent une attaque provoquée par l’homme, une arme mystérieuse. Peut-être la fameuse bombe à neutrons, conçue pour tuer les êtres vivants sans endommager les bâtiments ? Ou une nouvelle technologie chimique, bactériologique qu’une puissance étrangère serait venue tester dans ces montagnes retirées ?

Dans le doute, les autorités font évacuer la zone et plus de 4 000 rescapés sont relogés, souvent dans des conditions précaires, tandis que des experts venus du monde entier convergent vers le lac. Très vite, les scientifiques expliquent que c’est un important nuage de CO2 qui a tué les hommes et les bêtes. « On s’est mis d’accord sur le fait que la seule cause naturelle de ce phénomène, ça ne pouvait être que du CO2, raconte des décennies plus tard l’ingénieur Jean-Christophe Sabroux, à l’époque conseiller technique auprès du Délégué aux risques majeurs du ministère français de l’Environnement. On a estimé qu’il devait s’agir d’un nuage de 200 millions de mètres cubes se déplaçant à environ 20 mètres par seconde. Le CO2 est un gaz lourd donc il est allé vers le bas, vers les vallées. Les gens sont morts par anoxie, dans leur sommeil, ça ne prend qu’une minute. »

Restait toutefois à comprendre ce qui avait pu provoquer la formation de ce nuage mortel. Là encore, les experts sont unanimes : le gaz est venu du lac. Le lac Nyos, en effet, est ce qu’on appelle un « lac de cratère », situé dans un volcan. En dessous de l’eau, à très grande profondeur, il existe des poches de magma qui libèrent régulièrement du CO2, lequel traverse la croûte terrestre et vient se dissoudre, mais aussi s’accumuler, dans l’eau.

Éruption phréatique

En mars 1987, le président Paul Biya réunit au Palais des congrès de Yaoundé une grande conférence internationale. Des dizaines d’experts camerounais et étrangers viennent y confronter leurs hypothèses sur les causes du drame et, surtout, proposer des solutions afin de s’assurer qu’une telle catastrophe ne se reproduira pas. La rencontre tourne à la foire d’empoigne et sombre dans le ridicule. « La question, résume Jean-Christophe Sabroux, était de savoir d’où venait le CO2. Etait-il stocké sous le lac, comme le disaient les vulcanologues, ou dedans, selon la thèse des limnologues ? »

Dans le premier camp, on estime que le volcan s’est réveillé, provoquant ce qu’on appelle une « éruption phréatique » puis un « nuage de vapeur brûlante » qui a littéralement fait exploser le lac, explique le journaliste néerlandais Frank Westerman dans son livre Dans la vallée tueuse, paru en 2015.

Une version violemment contestée par les spécialistes de limnologie, cette science qui consiste à étudier les « eaux continentales » (par opposition à l’océanographie). George Kling, de l’Université du Michigan, est l’un des tenants de cette hypothèse de l’ « éruption limnique », dont il explique le processus : « Le gaz libéré par le magma se répand dans le lac, à raison de 5 000 tonnes par an. Mais le lac est très profond et la pression en bas est très élevée. Le CO2 se dissout dans l’eau mais il est maintenu au fond par cette pression. »

Il existe en effet une forte différence de densité entre l’eau des profondeurs, très froide, et celle de la surface, plus chaude. Dans les régions tempérées, les températures de surface varient, ce qui provoque un brassage des eaux et une évacuation naturelle des gaz éventuels. Mais en zone tropicale, l’eau de surface ne se refroidit pas et les couches de densité différente perdurent. On parle de lac « stratifié ». Reste à savoir ce qui a pu, malgré tout, libérer le CO2 stocké dans les eaux profondes. Les limnologues ont là encore leur idée : c’est sans doute un très gros pan de la falaise entourant le lac qui, en s’effondrant, a mélangé les strates et provoqué la remontée vers la surface du nuage tueur.

Jean-Christophe Sabroux émet, quant à lui, quelques doutes sur ce scénario : « Il n’y a même pas eu besoin de ce pan de falaise, le lac était intrinsèquement instable. Si une couche arrive à saturation, cela suffit à faire éruption. C’est comme un gant qui se retourne. Il faut aussi se souvenir qu’on était à la fin de la saison des pluies, donc l’eau était plus froide. Ce qui est sûr en tout cas c’est qu’il n’y a pas eu de séisme. »

Opérations de dégazage

L’hypothèse « limnique » s’étant imposée – même si elle a ses détracteurs aujourd’hui encore –, des opérations de dégazage ont été mises en place à partir des années 1990. Menées essentiellement par des équipes franco-camerounaises, elles consistent à installer des tuyaux verticaux qui plongent dans les profondeurs, et à amorcer par une pompe la remontée des gaz qui ensuite se poursuit naturellement du fait de la différence de pression. Le dispositif, mis au point par le géophysicien français Michel Halbwachs, a été baptisé « orgues de Nyos » et pendant des années, on a pu observer de hauts geysers s’élevant au-dessus de la surface des eaux.

Si le lac Nyos reste sous surveillance, la question, 35 ans après, est surtout de savoir si d’autres sites sont susceptibles de voir se produire des catastrophes comparables. Au Cameroun toujours, le lac Monoun offre des caractéristiques très comparables et a d’ailleurs déjà vécu un épisode analogue, quoi que moins dramatique, un nuage de CO2 y faisant une quarantaine de victimes en 1984. « En 1986, ça a été la panique dans le monde entier, renchérit Jean-Christophe Sabroux. On a fait la tournée de tous les lacs en se demandant lesquels présentaient les mêmes spécificités, et donc le même danger, et on en a trouvé en Allemagne, en Equateur, en Australie et même en France… Et puis bien sûr il y a le Kivu, qui est gigantesque et où les quantités de gaz accumulées se comptent en milliards de mètres cubes, auxquels il faut ajouter du méthane issu de la matière organique. »

L’immense lac Kivu, à la frontière de la RDC et du Rwanda, vers lequel tous les regards se tournent depuis que l’un des volcans de la chaîne voisine des Virunga, le Nyiragongo, est entré en éruption le 22 mai dernier. A ce stade, la catastrophe redoutée n’a pas eu lieu mais le Kivu reste sous surveillance et le ministère congolais des Hydrocarbures a promis que des opérations de dégazage seraient rapidement lancées afin de prévenir tout problème. La catastrophe de Nyos aura au moins servi à cela.

 

 

Jeune Afrique