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Fin du premier round du combat entre Amougou Bélinga et les inspecteurs des impôts

S’alignant systématiquement sur les positions du parquet tout au long du procès, le président du Tribunal a déclaré les agents du fisc coupables de concussion et de corruption active, avant de les condamner à payer 250 millions de francs de dommages et intérêts à Jean-Pierre Amougou Bélinga. Le combat se poursuit à la Cour d’appel après le recours annoncé des mis en cause.

Le président Cyprien Onambele, juge au Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif, n’a pas infléchi une donne qui remonte au retour de M. Laurent Esso à la tête du ministère de la Justice en 2010. Il s’agit de la quasi-invulnérabilité de M. Jean-Pierre Amougou Bélinga, l’ami du Garde des Sceaux, devant les juridictions pénales de la région du Centre, voire de sa haute main sur la plupart des responsables judiciaires. En vidant enfin son délibéré dans l’affaire opposant depuis un peu plus d’un an Vision 4 Télévision SA et son promoteur à six inspecteurs des impôts, le juge a prononcé la condamnation de ces derniers. Ainsi, Mme Emeline Mvogo épouse Biyina, le chef du Centre régional des impôts du Centre 1 (Cric 1), qui faisait office de prévenu principal dans cette procédure, a écopé d’un an de prison avec sursis pendant trois ans et d’une amende de 2 millions de francs. Et les cinq autres mis en cause ont été condamnés chacun à 6 mois de prison avec sursis pendant trois ans et à une amende de 1,5 million de francs.

On subodorait déjà avant le début de l’audience du 2 juin 2023, que le juge pouvait être embarrassé au moment de se prononcer dans cette affaire. D’ordinaire ponctuel lors des audiences antérieures, le président Onambele est arrivé dans la salle du tribunal à presque 15h, donc avec quasiment quatre heures de retard par rapport à l’horaire de 11h qu’il avait lui-même annoncé. Et d’une voix peu audible, il a déclaré de façon laconique que «la culpabilité de Mme Mvogo Eméline n’est pas retenue pour le trafic d’influence» et que «la culpabilité de tous les prévenus est retenue pour les autres infractions», avant de donner la parole aux avocats de M. Amougou Bélinga pour qu’ils s’expriment sur les dommages et intérêts, précédent ainsi la prise de parole du représentant du ministère public sur les sanctions pénales sollicitées à l’endroit des mis en cause.

Dans le box des accusés, aucun des mis en cause n’a honoré de sa présence la clôture du dossier devant le TPI. Et deux seulement de leurs cinq avocats ont répondu présent, mais étaient naturellement privés de parole du fait de l’absence de leurs clients. Chef de file des conseils de M. Amougou Bélinga, l’ancien bâtonnier Charles Tchoungang, le seul avocat à prendre finalement la parole, s’est donc offert une longue plaidoirie de soixante minutes pour situer le niveau du préjudice que M. Amougou Bélinga aurait subi du fait des agissements imputés aux inspecteurs des impôts. Parlant en roue libre, le vieil avocat a demandé que le tribunal accorde une réparation de deux milliards huit cents soixante-cinq millions (2.865.000.000) de francs à Vision 4 TV. Soit une somme de 65 millions de francs, qui représenterait l’argent «extorqué» à l’homme d’affaires par les inspecteurs des impôts, dont 50 millions de francs imputés au chef de Cric1 et 5 millions à chacun de ses trois collaborateurs présents au siège de Vision 4 TV le 17 mars 2022.

Mandat d’incarcération

L’ancien bâtonnier a aussi sollicité la réparation d’un préjudice matériel (préjudice économique et préjudice commercial) évalué à 1,6 milliard de francs en plus d’un préjudice moral estimé à 1 milliard de francs. Il a aussi demandé le remboursement des «frais de justice», à savoir les honoraires des avocats, qu’il a situé à 200 millions de francs. Profitant de la situation pour faire la publicité de M. Amougou Bélinga et de ses neuf entreprises, le vieil avocat est allé dans tous les sens… Il a dénoncé ce qu’il a présenté comme une «campagne médiatique constante et savamment menée par les médias spécialisés dans les affaires judiciaires», reprochant aux inspecteurs des impôts d’avoir médiatisé le contrôle fiscal opéré à Vision 4 TV et de s’être mêlés de «régler des querelles qui n’ont rien à voir avec l’impôt». Une allusion subtile aux batailles de pouvoirs qui opposeraient certains hauts responsables de l’Etat…

En moins de trois minutes, pour sa part, le représentant du ministère public a joué sa partition. «Le ministère public prend acte de la déclaration de culpabilité des prévenus», a-t-il amorcé, avant d’ajouter qu’il ne leur connaît pas «d’antécédents judiciaires». Puis, il a requis que «le tribunal entre en application des peines prévues par le code pénal». Il a particulièrement visé l’article 134 alinéa 1 de ce code, qui concerne l’infraction de concussion, en écartant l’article 142 du même texte, relatif à la «corruption active», en raison du «principe du non-cumul des peines». Il a aussi requis que le tribunal juge recevable la constitution de partie civile de M. Amougou Bélinga réitérée par Me Tchoungang dans sa plaidoirie. «La victime a droit à une juste et équitable indemnité que vous lui allouerez à titre de préjudice subi», a-t-il clôturé sa prise de parole, en disant se soumettre «au pouvoir d’appréciation souverain» du juge.

Sur le champ, comme s’il avait déjà sa décision finale avant ces dernières prises de parole, le président du tribunal a prononcé la sentence. En dehors des peines pécuniaires et des peines d’emprisonnement avec sursis déjà indiquées, qui ont sans doute été influencées par les «circonstances atténuantes» reconnues aux mis en cause, le juge a «condamné solidairement les prévenus à verser [à M. Amougou Bélinga] la somme de 250 millions de francs» au titre des dommages et intérêts sollicités par le conseil de ce dernier, estimant que sa demande était partiellement fondée. Ce montant, a-t-il précisé, est constitué de la «restitution des sommes perçues : 65 millions de francs ; préjudice matériel (économique et commercial) : 65 millions de francs ; frais de justice : 5 millions de francs et préjudice moral : 115 millions de francs».

En outre, le juge a condamné les mis en cause au paiement solidaire des dépens qu’il a fixé à un peu moins de 13 millions de francs. Le tribunal a aussi déclaré par ailleurs qu’il décernait un «mandat d’incarcération» à l’endroit des condamnés, au cas où ces derniers résistent à s’acquitter des condamnations pécuniaires prononcées au profit de l’Etat (amendes et dépens). Ainsi s’achève donc le premier round du combat entre M. Amougou Bélinga et les inspecteurs des impôts. Les deux avocats des prévenus présents n’ont pas attendu que le président du tribunal lève la séance pour quitter les lieux, extériorisant ainsi leur protestation. Leurs clients annoncent qu’ils relèvent appel de la décision rendue. Ils ont 10 jours pour le faire, a déclaré le juge dans sa décision. La bataille se poursuivra donc devant la Cour d’appel du Centre comme annoncé par les fonctionnaires du fisc.

Finalement, la décision de culpabilité rendue vendredi dernier par le juge Onambele épouse en tout point de vue les réquisitions du ministère public. Ainsi que le représentant du parquet l’avait demandé, le président du tribunal a pris le soin de rejeter «l’exception de nullité de l’information judiciaire» soulevée par les conseils des inspecteurs des impôts dès l’entame du procès. Ces derniers avaient en effet constaté que M. Amougou Bélinga avait eu le privilège de faire admettre par le juge d’instruction un ensemble de pièces, sans que celles-ci fassent l’objet de débat pendant l’information judiciaire, violant ainsi les droits de la défense.

Fraude reconnue

Par ailleurs, les conseils des inspecteurs des impôts avaient aussi soulevé une «exception préjudicielle» peu avant leurs plaidoiries définitives. Ils estimaient que l’argument utilisé par le juge d’instruction pour renvoyer leurs clients en jugement public faisait l’objet de la saisine du tribunal administratif, qui est juge de l’impôt. Le TPI était de ce fait appelé à sursoir à sa décision en attendant l’arbitrage du juge de l’impôt. Cette demande a aussi été écartée, le juge l’ayant trouvée non fondée comme la première.

Bien que Vision 4 Télévision SA ait de nouveau sorti ses caméras pour jubiler au sujet de la décision favorable à son promoteur, cette victoire d’étape ne lui profite pour l’instant que pour redorer ponctuellement son image. Avec le recours annoncé contre la sentence du juge Onambele, la condamnation concernant les dommages et intérêts de 250 millions de francs sera suspendue de plein droit. Il faudra attendre éventuellement une décision de la Cour d’appel, si elle confirme la première sentence, pour que cette réparation pécuniaire devienne exigible, sauf si les parties décident d’aller à la Cour suprême et que les cadres du fisc obtiennent de la haute juridiction un sursis pour l’exécuter de la nouvelle décision. La bataille peut encore être longue.

Au-delà des parties qui s’affrontent directement devant le prétoire, soit Vision 4 et M. Amougou Bélinga, d’un côté, et les inspecteurs des impôts, de l’autre, on sait que la sentence du TPI intéresse le ministre des Finances et certains de ses collaborateurs. En effet, comme annoncé par Kalara, une enquête avait été ouverte à la gendarmerie nationale contre les personnes ayant œuvré en faveur du dégrèvement fiscal mirobolant accordé à Vision 4 par le ministre des Finances. Rappelons qu’à la suite d’un recours gracieux tardif introduit par le patron du Groupe l’Anecdote, le Minfi avait rabaissé de presque 9 milliards de francs la dette fiscale de Vision 4 arrêtée à presque 11 milliards de francs après le redressement fiscal qui est à l’origine du procès contre les fonctionnaires. Les arguments évoqués dans la décision du ministre avaient été contestés par l’administration fiscale et ses agents, qui avaient saisi le tribunal administratif pour arbitrage.

A titre de rappel, à la suite d’une alerte de l’Agence nationale d’investigations financières (Anif) concernant plusieurs entreprises, Vision 4 avait subi un contrôle fiscal qui avait révélé une dissimulation par cette entreprise des flux financiers d’une valeur d’environ 8 milliards de francs. Selon les informations mises à la disposition de la Direction générale des impôts par les banques, les recettes débusquées étaient en partie des paiements des marchés publics non déclarés au fisc de même que des versements en espèces non justifiés dans les comptes bancaires de la télévision de M. Amougou Bélinga. Ce dernier avait offert de payer 350 millions au fisc en guise de réparation de la fraude fiscale, reconnaissant sa faute, mais le fisc lui avait notifié un redressement fiscal de 11 milliards de francs. C’est ce redressement fiscal qui est à l’origine de de la plainte de M. Amougou Bélinga contre les agents du fisc impliqué dans cette procédure. Il avait déclaré les avoir corrompus sous l’œil de ses caméras, mais aucune image n’a jamais été produite pour corroborer ses accusations.

 

Ref: Kalara