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Opération Epervier : Polycarpe Abah Abah met le gouvernement dos au mur

Il va et il vient au sein du Tribunal criminel spécial (TCS), se déplaçant d’une salle d’audience à l’autre, en habitué des lieux, sous la garde d’une vingtaine de gendarmes et policiers encagoulés et lourdement armés qui ne le quittent pas des yeux. Quand on est, comme Polycarpe Abah Abah, emprisonné depuis treize ans et accablé – avec le statut d’accusé ou de témoin – par une demi dizaine de procédures, autant prendre ses aises en ce bâtiment si peu hospitalier.

Ce 27 juillet, le sort de l’ex-ministre de l’Économie et des Finances dépend d’une décision de Louis Paul Motaze, son lointain successeur. L’accusé attend que ce dernier adresse quelques mots magiques aux juges de la Cour suprême. Louis Paul Motaze délivrerait ainsi son devancier d’une peine de vingt ans de prison infligée le 19 novembre 2016 par le TCS. Il suffit à l’actuel ministre des Finances d’attester que l’argent qu’on accuse son prédécesseur d’avoir détourné n’a jamais enrichi celui-ci mais a été pour une part retourné dans les caisses de l’État et, pour une autre part, transféré sur les comptes de quarante entreprises majoritairement étrangères au titre du remboursement des crédits

Des faits clairs, si tant est qu’il soit aisé de tracer les mouvements de 1,1 milliard de F CFA (environ 1,7 million d’euros). « Toutes les preuves sont là, les chèques émis au nom du receveur des impôts figurent dans le dossier, les dates des compensations également… La meilleure des preuves étant que la dette de l’État a été épongée puisqu’aucune entreprise ne lui réclame plus d’argent », plaide son avocat, Jeannette Marion Nko’o.

Pourtant, rien ne se passe comme prévu. Mise en délibéré le 11 mai, l’affaire a été renvoyée au 20 juillet, avant d’être reportée d’une semaine. Tant mieux pour l’accusé qui attend que le sésame du ministère des Finances attestant que l’État n’a pas subi de préjudice et qu’il n’y a donc pas lieu de lui demander de rembourser des fonds qu’il n’a pas détournés.

Lors de l’audience de ce 27 juillet, la réponse du ministère était toujours attendue. Selon nos informations, la dernière réunion qui s’y est tenue à ce sujet n’a pas aidé Louis Paul Motaze à trancher. La veille, il aurait même été question non pas de signer une attestation mais d’envoyer les avocats de l’État déclarer oralement devant la barre que celui-ci renonçait à son action. À l’appel des juges, ces derniers n’en ont rien fait et ont plutôt demandé un renvoi de la cause. Présent au fond de la salle d’audience, le représentant de

l’État ne s’est pas présenté à la barre Un bon connaisseur du dossier soutient que les atermoiements de Louis Paul Motaze sont le signe qu’il ne veut pas se mouiller dans cette affaire où il passerait pour celui qui fait disculper des « voleurs » issus du Sud, sa région natale. La justice serait-elle le théâtre de l’impitoyable lutte de clans qui prévaut au sommet de l’État ? Les soutiens de l’ancien grand argentier l’affirment sans ambages. Les juges ont donné rendez-vous aux parties le 24 août prochain pour la lecture de leur décision.

Pour comprendre l’affaire, il faut remonter au début des années 2000. Selon une exigence du FMI relative à l’amélioration du recouvrement de l’impôt, certaines entreprises furent habilitées à percevoir la TVA. L’argent ainsi collecté devait être déposé dans un compte de transit ouvert à la direction nationale de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) sous la responsabilité du directeur des impôts d’alors, un certain Abah Abah. À charge pour ce dernier de reverser les fonds collectés au Trésor public, et de rembourser le trop perçu aux entreprises ayant prélevé la taxe à la source.

Le premier reproche qu’a adressé l’accusation à Polycarpe Abah Abah est d’avoir ouvert un compte dans un établissement commercial, la Commercial Bank of Cameroon (CBC), destiné au remboursement des crédits de TVA. Ensuite, le parquet affirme que, sur instruction du directeur des impôts, la CBC a, entre le 15 avril et le 3 septembre 1999, effectué un transfert de 1,8 milliard de F CFA du compte de remboursement des crédits de TVA au compte personnel de Polycarpe Abah Abah, domicilié dans la même banque. « Le 28 avril 2000, lors de la cérémonie de remise des chèques aux entreprises, je me suis rendu compte de la confusion entre mon compte personnel et le compte TVA », a reconnu Abah Abah, interrogé par Jeune Afrique

Une « erreur » reconnue par la CBC, qui a immédiatement adressé à son client une lettre en reconnaissance de responsabilité. « L’agent chargé de cette fonction a remis à votre personnel mandataire, dans la précipitation et par erreur, le chéquier sur votre compte personnel en lieu et place du chéquier du compte de remboursement de TVA, cela d’autant que les numéros des deux comptes sont fort semblables », signalent les signataires de la correspondance, Jean- Louis Chapuis, directeur général de l’établissement, et Julienne Komnang, directrice centrale chargée de l’exploitation. La banque assure qu’elle a ensuite annulé lesdites opérations et pris des mesures pour que tout rentre dans l’ordre.

Des articles de presse s’étant fait l’écho de l’affaire, la présidence ordonne une enquête. Abah Abah s’explique. Aucune conclusion ne fuite. Le dossier est-il clos ? La suite semble indiquer que oui. Le directeur des impôts est même promu en 2004 ministre de l’Économie et des Finances. Le tout-puissant argentier contrôlant les régies financières du pays est aussi à deux doigts d’aboutir au point d’achèvement de l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE), un parcours d’obstacles sur lequel, selon lui, ses ennemis l’attendaient au tournant. En 2006, le résultat espéré est obtenu. Le désendettement du pays constitue un bol d’air pour l’État, mais signe aussi le début de la fin pour Abah Abah. Il finira par sortir du gouvernement en 2008 avant d’être arrêté quelques semaines plus tard

Pour rappel, l’affaire en cours est née d’une plainte déposée par deux… journalistes. Le ministère des Finances n’a fait que se joindre à la procédure en se constituant partie civile.

Emprisonné depuis treize ans, Polycarpe Abah Abah est concerné par plusieurs affaires pour la plupart en cours de jugement. Écroué en 2008, l’ex-ministre camerounais des Finances a été condamné en juin 2012 à six ans de prison pour « évasion ». Profitant d’une visite chez son dentiste, il s’était rendu à son domicile avec l’accord de ses geôliers –, avant d’être brutalement arrêté parles services spéciaux. Bien qu’il ait déjà purgé sa peine, son dossier est toujours en cassation.

Le Tribunal criminel spécial a reconnu Abah Abah coupable de quatre chefs d’accusation de malversations financières estimées au total à environ 7,8 milliards de F CFA (près de 12 millions d’euros) et l’a condamné le 13 janvier 2015 à vingt-cinq ans de prison ferme. Il s’était pourvu en cassation mais, un quart de siècle plus tard, aucune date n’a été fixée pour une éventuelle audience.

CRTV volet 1, dite affaire Gervais Mendo Ze

Accusé d’avoir détourné 205,873 millions de F CFA des caisses de la Cameroon Radio Television (CRTV), Polycarpe Abah Abah a écopé en mars 2019 de dix-huit ans de prison. Il s’était pourvu en cassation, mais la Cour suprême a confirmé cette condamnation. Gervais Mendo Ze, ancien directeur général de la CRTV décédé en avril dernier, avait été condamné à vingt ans de prison ferme en 2019.

CRTV volet 2, dite affaire Amadou Vamoulké

Dans l’affaire concernant cet ancien directeur général de la CRTV, Abah Abah et ses coaccusés répondent d’un présumé détournement de fonds publics d’un montant global d’environ 3,9 milliards de FCFA. L’ancien ministre est poursuivi pour ce qui le concerne en coaction avec l’ancien directeur général de la CRTV pour un détournement allégué d’une partie de cet argent, soit 594,9 millions de F CFA.

 

 

Jeune Afrique