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Maurice Kamto : « La lutte n’a même pas encore commencé »

Le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) réagit après la levée du dispositif sécuritaire hier, 8 décembre autour de la résidence et invite les militants de son parti à rester mobilisés.

Vous êtes désormais libre de tous vos mouvements après plusieurs mois de maintien en résidence surveillée. Quelque chose a changé…

Je crois que ce qui s’est passé doit amener à dépasser ma petite personne. Je crois que le problème qui nous est posé c’est celui du type de société dans lequel nous vivons où on peut utiliser tout le vocabulaire bien installé dans la société mondiale, société démocratique ; c’est-à-dire les notions d’État de droit, de liberté publique, des droits de la personne humaine mais pratiquer le contraire au quotidien. Et ça devrait nous interpeler tous en tant que Camerounais. J’ai coutume de dire qu’il ne peut pas avoir de sérénité dans un pays lorsque des régions sont dans la tourmente. Le fait que l'on vive dans une société où l’on peut bafouer les droits et les libertés des citoyens en invoquant des motifs fallacieux, parce qu’il n’y a aucun motif factuel qui a étayé, jusqu’à présent, les griefs invoqués par l’administration, ou ceux qui sont censés la représenter aujourd’hui, est grave ; mais surtout les mesures répressives, cette espèce de machine qui a été déployée.

On a vu un dispositif de sécurité mixte, totalement inutile, parfaitement ridicule, qui ne fait pas honneur à notre pays et ternit l’image de notre pays. Ce qui nous interpelle aujourd’hui c’est le fait que ce dispositif sécuritaire ait été levé. On a des centaines de Camerounais qui ont été arrêtés à l’occasion des marches pacifiques du 22 septembre dernier, avant, pendant et après les marches. Jusqu’aujourd’hui, des militants du MRC continuent d’être traqués. C’est ça le problème. Il faut cesser de faire croire que c’est un problème du MRC.

La levée des mesures sécuritaire est intervenue quelques minutes après la sortie du ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi. Le gouvernement indique qu’il y aura une sorte de décrispation pour ce qui est du cas des militants du MRC. C’est ce que vous percevez à travers les mots du ministre ?

Je n’espère rien. J’ai lu le communiqué. Est-ce qu’il y a dans le code pénal camerounais une infraction de « Danger pour la société » ? Est-ce qu’on pourrait arrêter un citoyen camerounais parce qu’il représenterait un danger pour la société ? Je n’ai pas dit une menace à l’ordre public ; je n’ai pas dit un danger à l’ordre public ; mais danger pour la société. Vous ne voyez pas qu’on va très loin, qu’on a franchi un cap ? C’est quand-même une gravité exceptionnelle. On croirait que nous sommes dans une sorte d’asile de fous. On dit généralement qu’un fou peut être un danger pour la société mais il n’est pas à Kondengui. Dans notre pays, il doit être à Jamot. Mais on vous envoie à Kondengui, devant le tribunal militaire, à Mfou, à Douala à New Bell et dans d’autres prisons parce que vous représenteriez un danger pour la société. Qui est juge du danger qu’un citoyen représente pour la société ?

Sur la base de quel élément et de quel critère ? Il ne faut pas lire cela superficiellement. Il ne faut pas prendre cela à la légère. Je pense que nous devons être très attentifs. Je pense que nos frères et sœurs qui sont à la charge des affaires de notre pays, ne comprennent pas ce qui est en jeu. Ce qui est en jeu, c’est la lutte pour la liberté, la justice dans notre pays, le retour de la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la modernisation du Cameroun pour que ce pays puisse donner à ses citoyens la chance de vivre au niveau où ils peuvent vivre en raison des ressources dont regorgent le Cameroun ; que ce pays puisse être hissé où il doit être dans le concert des nations. Voilà l’enjeu. Tout ce discours menaçant... me laisse indifférent. Je ne me sens pas concerné par cela. Il faut qu’on arrête. On ne peut pas dans un pays, briser des vies parce que dans la paix, des gens revendiquent deux choses : l’arrêt de la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et la reforme consensuelle du système électoral.

Pour ce qui est du système électoral, après notre expérience aux élections législatives et municipales de 2013, nous avons dit que le système est générateur de crises parce qu’il permet beaucoup d’irrégularités ; révisons cela pendant qu’il est temps. Nous n’avons jamais eu la moindre écoute. Tout ce qu’on vous dit c’est que c’est dans le jeu institutionnel que tout se fait. Sauf que le jeu institutionnel ne permet rien. Vous pouvez avoir un député comme vous pouvez en avoir 50 au Cameroun. Vous ne comptez pas dans le jeu institutionnel. Nous y étions. Nous avons joué le jeu institutionnel.

Puisque vous avez quitté le champ institutionnel, quel est désormais votre champ de bataille ?

Nous sommes dans la lutte pour que les choses changent au Cameroun. Nous n’avons pas changé de posture. Mon champ de bataille est politique et il restera politique. À chaque fois nous avons écrit ; de la présidence jusqu’à Elecam pour dire que ce code est mauvais. Nous avons fait des propositions. Du côté du gouvernement, on ne prête pas l’oreille à ce que nous disons. Est-ce que cela intéresse qui que ce soit. C’est vain ce qu’ils font. Ils peuvent croire qu’ils ont gagné, mais ils se trompent. La lutte n’a même pas encore commencé. Il faut qu’ils le sachent.

Pendant que vous étiez retenu à domicile, certains cadres du MRC ont été embastillés. Est-ce qu’à partir de demain le parti va mettre des bouchées doubles pour qu’ils soient élargis ?

Dans un système dictatorial, la justice ne peut pas vous donner raison. Ce que fait la justice, elle applique les instructions politiques. La bataille est politique ; la lutte est politique. Si nous étions dans un système à peu près normal où l’argument du droit, où la force du droit peut prévaloir alors, je n’hésiterais pas à mettre ma robe pour aller plaider. Mais vous pouvez plaider tout ce que vous voulez ici. Tant que le politique n’a pas dit ce qu’il faut faire, n’espérez rien de la justice ; en tout cas pour les causes qui concernent les affaires politiques. Je ne parle pas pour les autres. 

Avez-vous un message particulier à envoyer à vos militants ?

Je dois vous dire. Cette levée du dispositif ne change rien à ma vie. Ils peuvent encore installer leurs policiers et leurs gendarmes. C’est tellement ignominieux. Vous vous demandez jusqu’où ils peuvent aller dans leur logique. Et là, vous découvrez soudain qu’ils n’ont pas de limite. Qu’ils aient levé ou pas ne change rien parce que, traquer un individu ou un parti politique ne passe pas par un dispositif qu’on met devant sa maison. J’aimerai dire à ceux qui ont la charge de notre pays d’arrêter. Qu’ils arrêtent de faire honte à notre pays. Le monde entier a suffisamment vu. S’ils ne sont pas sensibles à la honte, les autres Camerounais le sont. C’est indigne pour un pays comme le Cameroun ; un pays respecté.

Je dis encore une fois à ceux qui ont la direction de notre pays qu’ils arrêtent parce que ce n’est pas de cette façon que les problèmes seront résolus ; et qu’ils arrêtent l’acharnement sur les militants du MRC. Même ma disparition ne fera pas disparaitre les problèmes du Cameroun. Les problèmes sont là. Je suis parmi les Camerounais qui essaient de montrer la lune. Au lieu de regarder la lune, on regarde mon doigt. Ça ne va pas résoudre le problème. Quand on a dit que j’étais assigné à résidence de fait, parce que je n’ai jamais eu un acte juridique, on est passé par mes avocats. Demandez à mes avocats s’ils ont été prévenus quand on voulait lever le dispositif. Ils découvrent aussi dans les réseaux sociaux. Je veux dire bravo à mes camarades détenus et ceux qui ont été libérés pour leur sens du sacrifice pour la liberté.

Tout le monde n’a pas le même courage. Ne croyez pas que votre combat est vain. L’histoire est toujours faite par quelques personnes. Je voudrai surtout leur dire de rester confiants et mobilisés parce que la lutte que nous menons peut encore prendre du temps. Je vois bien où est-ce qu’on est en train d’aller. Il peut y avoir des détours, des monts et des vallées. Mais nous allons y arriver. Je pense que notre pays mérite mieux. Notre combat est juste et il sera victorieux.

Source : Le Jour : Propos recueillis par Solière Champlain Paka