Le Gouvernement du Cameroun a proposé un échéancier de paiement des arriérés des enseignants, pour mettre fin à leur grève, intitulée OTS (On a trop souffert).
Pour un pays aux ressources rationnées comme l’est le Cameroun maintenant, soumis à un ajustement structurel qui va devenir de plus en plus sévère dans les prochains jours, cette solution apparait plus réaliste et plus raisonnable.
Seulement, elle ne peut être qu’un palliatif puisqu’elle ne touche aucun problème de fond. Elle part de l’hypothèse que la situation des enseignants est purement administrative, et que les diverses lenteurs dans leurs divers dossiers de prise en charge et les effets financiers relèvent de multiples dysfonctionnements de services publics.
Cette explication apparaît très commode puisqu’elle rencontre des faits d’évidence : le traitement du moindre dossier mobilise une interminable chaine d’opérations administratives, que devrait naturellement suivre l’intéressé. Celui-ci, pour faire aboutir son dossier, devrait recourir au harcèlement et à la corruption des agents qui s’en occupent, et quelquefois à la mobilisation des relations pouvant avoir une influence sur le service.
Celui qui ne s’adapte pas à cette jungle aura les pires difficultés pour voir son dossier aboutir. Il en découle le sentiment que si les agents en charge des dossiers étaient plus sérieux et plus diligents, la situation serait nettement meilleure.
D’où la tendance à des solutions ressortant de l’amélioration des services administratifs telles que l’allègement des procédures, l’informatisation du circuit administratif, la lutte contre la corruption des agents, etc.
Or, ces solutions sont fausses, puisque l’analyse est fausse : quel est le fond du problème ?
Quand on examine attentivement la question, il apparait 2 anomalies qui invalident la thèse des dysfonctionnements administratifs :
1. LE CIRCUIT ADMINISTRATIF : Les étudiants qui entrent dans les Ecoles et présentent un dossier à l’entrée n’ont plus besoin d’un autre dossier identique pour avoir un matricule dans la Fonction Publique ou pour être pris en charge par le Ministère des Finances. La base des données des Ecoles qui les ont recrutées et les forment est suffisamment fiable pour qu’elle soit transmise directement au Ministère et génère de manière automatique des matricules et des effets financiers.
De même les avancements n’ont pas besoin d’un interminable dossier. Ils peuvent être générés automatiquement, le contrôle se limitant aux très rares cas contentieux.
On peut énoncer un grand nombre de cas pour lesquels il n’est pas nécessaire d’entretenir un long circuit administratif, d’où la question fondamentale : pourquoi le Gouvernement s’accroche à ce modèle qui entrave le travail des fonctionnaires obligés d’abandonner leur poste de travail pour suivre leurs dossiers, génère la corruption et amplifie els frustrations ?
La raison est évidente : c’est tout simplement parce que cette lourdeur lui permet de gérer les flux financiers du Trésor Public!
En effet, si cette administration fonctionnait correctement, comme le souhaitent les Camerounais, le Trésor Public se retrouverait très rapidement devant une thrombose, totalement débordé par la demande d’argent ! L’Etat serait alors nu et tout le monde verrait ce que vaut notre Gouvernement.
Pour échapper à cette sinistre situation, le Gouvernement doit trouver un mécanisme habile et sophistiqué qui permette de freiner cette demande, tout en donnant l’impression que les choses marchent bien !
Et quel autre mécanisme aussi parfait qu’un circuit administratif long, coûteux et rempli d’agents particulièrement impolis et corrompus? Cela permet au Gouvernement de masquer son impécuniosité tout en transférant la colère du peuple camerounais sur ces agents véreux et dont la seule utilité est de lui servir de dérivatif !
2. L’EPARGNE BUDGETAIRE : l’absence d’une épargne budgétaire conforte justement l’argument du circuit de la dépense. En effet, le budget est confectionné sur la base des anticipations des besoins, et les salaires ;, notamment ceux d’un corps comme les enseignants sont toujours connus à l’avance. Ces besoins sont donc budgétisés. Mais comment se fait-il qu’à la fin de l’année, la Trésorerie se retrouve toujours vide, sans un argent oisif dont on puisse dire : « Cet argent a été prévu pour les enseignants ; comme ceux-ci n’ont pas été payés du fait des retards, voici leur argent ! »
Mais il n’y a rien de tout cela !
Ces deux observations montrent que nous ne sommes pas devant de simples dysfonctionnements administratifs, mais devant dans une impasse institutionnelle de l’Etat.
Le système que l’élite bureaucratique a bâti n’a pas les moyens requis pour répondre à la demande sociale, d’où une logique de bricole et d’esbroufe. Les agents publics dont on décrie aujourd’hui le comportement ne sont que des instruments à la solde d’une pratique gouvernementale particulièrement cynique ! Ils sont recrutés, administrés et gérés pour ajuster l’activité administrative au niveau des capacités financières de l’Etat, à travers un comportement qui apparait très odieux aux citoyens, mais qui se révèle particulièrement utile au Gouvernement, et sans lequel celui-ci se dévoilerait dans toutes ses incompétences et toutes ses impostures !
Dieudonné Essomba