«Parmi les 150 chefs d’État que j’avais eu l’honneur de recevoir, un m’avait particulièrement impressionné », un ancien DG de l’Intercontinental fait les confidences sur le président Biya

Comme quasiment tous les étés depuis son arrivée au pouvoir, il y a trente-huit ans, le président camerounais est arrivé à Genève le 11 juillet. Ses déplacements coûteux et prolongés provoquent la colère de certains de ses concitoyens. Un appel à la manifestation a été lancé pour ce samedi 24 juillet.

Sur la photo officielle, Monsieur apparaît fatigué dans son costume cravate, Madame, souriante, porte un haut orange et un pantalon à fleurs. Dimanche 11 juillet, le président camerounais, Paul Biya, 88 ans, qui bat des records de longévité au pouvoir, et son épouse, Chantal, s’apprêtent à embarquer à l’aéroport de Yaoundé. Ils partent pour un “court séjour privé en Europe”, communiquera le directeur du cabinet présidentiel après le décollage.

La terminologie est rodée. Ces dernières décennies, on ne compte plus les absences du président. Quand il n’est plus au Cameroun, Paul Biya se trouve la plupart du temps à Genève, à l’hôtel Intercontinental, où il occuperait le dernier étage, déboursant 50 000 francs [suisses] par nuit pour lui et son entourage, affirment les opposants de la diaspora camerounaise.

Depuis son arrivée, dimanche, le président est invisible. Depuis son belvédère avec vue sur la rade et le Mont-Blanc, il a peut-être admiré les feux d’artifice du 14 juillet en France voisine. Sur son compte Twitter, le président n’a pas oublié de féliciter Emmanuel Macron et les Français, dernier acte officiel en date du chef d’État depuis sa villégiature genevoise.

Que fait-il de ses journées ? Mystère. L’ambassadeur du Cameroun à Berne, qui s’est fendu d’un communiqué rappelant le caractère “privé” de la visite, n’a pas retourné notre appel. Le temps où le président faisait son jogging matinal au bord du lac et où son épouse, Chantal, faisait des achats au centre-ville ou se faisait coiffer est révolu. Pendant des décennies, le président a coulé des jours paisibles en Suisse. Sa fidélité à Genève et à son palace emblématique n’a jamais été démentie.

Ami du directeur de l’hôtel

Dans son livre L’Hôtelier (Ed. Hurter, 2007), Herbert Schott, l’ancien directeur de l’Intercontinental, situe le début de cette idylle il y a plus d’un demi-siècle. “Parmi les 150 chefs d’État que j’avais eu l’honneur de recevoir, un m’avait particulièrement impressionné. Il s’agit du président du Cameroun, Paul Biya. J’avais fait sa connaissance en 1969, alors qu’il était le chef de cabinet de la présidence du Cameroun. J’assumais à cette époque la fonction de chef de réception, et tout de suite le courant est passé entre nous. Avec le temps et à travers ses fréquentes visites à Genève, cette relation assez timide à l’origine s’était transformée en véritable et solide amitié”, écrit-il.

Herbert Schott poursuit : “Certaines coïncidences avaient par la suite contribué à nous rapprocher considérablement l’un de l’autre : nos promotions, [lui] comme Premier ministre de son pays et moi comme directeur de l’hôtel, puis, en 1981, son accession à la présidence de la République du Cameroun et moi à la direction générale de l’hôtel.”

“Convaincu que nous avions un destin commun, continue l’hôtelier, il m’avait confié, lors d’une de ses visites à Genève, qu’il souhaitait vivement s’inspirer de la manière par laquelle je pensais pouvoir organiser ma retraite, afin qu’il puisse préparer progressivement son retrait de la vie politique.”

L’ancien directeur de l’Intercontinental ne tarit pas d’éloges sur cet “homme exceptionnel, hors du commun”. Il était “si attaché à Genève qu’il avait entrepris entre 1969 et 2002 plus de 55 visites à notre ville, toujours à titre privé”.

Facture faramineuse

Le rythme des séjours n’a pas fléchi ensuite, à en croire l’enquête, en 2018, d’un consortium de journalistes d’investigation se penchant sur la criminalité économique (OCCRP). Il estimait que Paul Biya y avait passé au moins quatre ans et demi en additionnant les innombrables “brèves visites privées”, depuis son accession à la présidence, en 1982, jusqu’en 2017. Coût estimé de ces séjours : 65 millions de dollars, basé sur une facture de 40 000 dollars par nuit pour toute la délégation camerounaise à l’Intercontinental. La facture serait près de trois fois supérieure en comptant le prix de la location des avions privés.

Depuis ce rapport et la détérioration progressive de la situation au Cameroun, ces dernières années, le président Biya a espacé ses séjours genevois. “Quand je suis venu crier pour la première fois sous les fenêtres de l’Intercontinental, j’étais tout seul”, se souvient Brice Nitcheu, un “Biya spotter” qui traque les moindres faits et gestes du président honni lors de ses déplacements à l’étranger. “Paul Biya vient profiter des belles routes et hôpitaux en Suisse qu’il n’a jamais été capable de construire au Cameroun”, dénonce cet opposant exilé à Londres depuis une vingtaine d’années et qui assure qu’il sera bien à Genève samedi, malgré l’interdiction de la manifestation par les autorités genevoises. Ces dernières ont jugé trop important le risque de violences. La police fera tout pour empêcher un rassemblement samedi.

En 2019, les manifestants s’étaient heurtés à la police en tentant de s’approcher du palace. Et, au terme de son séjour le plus mouvementé, Paul Biya avait fini par partir, au grand soulagement des autorités suisses. Deux ans plus tard, il est revenu. Avant de prendre l’avion pour Genève, Paul Biya ratifiait un accord exemptant les Camerounais porteurs d’un passeport diplomatique de visa pour entrer en Suisse. Le département fédéral des Affaires étrangères précise que les voyages privés ne sont pas concernés par cet arrangement. Berne ne commente pas les “séjours privés”. Aucune rencontre officielle n’est prévue, même si la Suisse est la médiatrice entre le gouvernement de Yaoundé et les séparatistes des régions anglophones.

 

 

 

Ref: Courrierinternational

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