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International: Crise des institutions, coups d’états, dépendance accrue, l'Afrique au bord du précipice.

L’Etat colonial a légué à l’Afrique non seulement le mode de production capitaliste, et avec lui l’embryon d’un nouveau système de classes sociales, mais également, par le biais de l’information et de la scolarisation, un certain type de culture en même temps qu’une manière de concevoir l’appareil institutionnel et juridique. Cet héritage forcé explique, en grande partie, pourquoi les dirigeants actuels de l’Afrique, quelles que soient leurs options fondamentales, capitalistes ou socialistes sont aujourd’hui confrontés à une situation difficile qui se caractérise à la fois par la crise des institutions politiques et par une position de dépendance souvent accrue à l’égard de l’ancienne métropole. Par-delà les analyses que  font les politologues de cet état de choses, le mérite de l’ouvrage du professeur Gonidec ( Les systemes politiques africains) est de poser clairement les problèmes de l’avenir et de se demander en particulier si le sous-développement condamne les Africains à subir éternellement la loi des dictateurs, civils ou militaires, actuellement en place.

Depuis plus de dix ans les Etats africains, à la recherche d’un équilibre introuvable, traversent une série de crises politiques dont le peuple est pratiquement toujours absent. En effet, le droit de suffrage, par lequel devrait normalement s’exercer la souveraineté populaire, ne permet guère aux citoyens de se faire entendre : le système du parti unique est presque partout présent et, dans la plupart des cas, les élections ne sont qu’un moyen de légitimation formelle d’un pouvoir conquis et conservé par la violence. La signification d’une élection dépend, en effet, d’au moins deux conditions fondamentales qui, si elles ne sont pas respectées, ne peuvent que la transformer en plébiscite ou en mascarade : la détermination du choix des candidats et l’expression de la volonté des électeurs. Or en Afrique, le choix des candidats est une opération qui ne fait intervenir qu’un nombre limité de privilégiés recrutés dans les rangs de ceux qui appartiennent à la classe politique, adhèrent au parti et possèdent à la fois une clientèle et une influence importantes. Quant aux élections proprement dites, elles se soldent généralement par l’existence de votes massifs en faveur du parti unique (solitaire ou dominant). De tels résultats seraient la manifestation massive de l’adhésion populaire à l’égard d’un parti ou d’un homme, si l’on en croit les dirigeants. En réalité, ils s’expliquent surtout par l’action conjuguée de la propagande et de la fraude électorales associées aux pressions plus ou moins occultes du pouvoir (promesses pour le citoyen pris individuellement, d’exprimer sa volonté, mais plutôt une occasion pour les dirigeants africains de démontrer à la face du monde (et plus particulièrement aux pays fournisseurs d’aide) l’excellence de leur politique et la cohésion de leurs peuples.

Si l’ambition du parti unique en Afrique était à l’origine de s’identifier au peuple politiquement organisé, il en va tout autrement dans la pratique. En théorie il n’y a, semble-t-il, aucune contradiction entre ce système et l’exercice de la démocratie, mais en réalité il existe actuellement un véritable divorce entre le peuple et le parti. Les partis uniques africains tendent en effet à se constituer en partis de cadres, repliés sur les villes et principalement préoccupés de défendre des intérêts de classe. En définitive, la situation politique des pays africains se caractérise par l’existence d’une domination de caractère charismatique assumée par le chef de l’Etat assisté d’un parti unique constitué de cadres civils et militaires à sa dévotion (à moins qu’ils ne travaillent secrètement à sa perte...) avec toutes les conséquences inhérentes à un système quasi monarchique : culte de la personnalité (le président Ahidjo a été tour à tour qualifié de « Moïse du Cameroun » et de « Christ de l’Afrique "le créateur, "le messi" pour le Pr Paul Biya »), problèmes de succession, confiscation des libertés fondamentales du citoyen.

Si la plupart des Constitutions africaines consacrent de façon plus ou moins large les droits et libertés du citoyen, on sait que la mise en œuvre des principes proclamés se trouve contrariée par un certain nombre de facteurs défavorables à l’épanouissement, voire à l’existence même, de ces droits et libertés. En fait les régimes constitutionnels et le système des partis uniques aboutissent à une véritable concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Les conséquences sont connues : arbitraire, répression, intimidation étouffent dans l’œuf toute velléité d’opposition.

A cette tyrannie s’ajoute le fait que l’état de sous-développement actuel de la plupart des Etats africains enlève aux notions mêmes de droit et de liberté tout contenu concret. Dans un continent où rôde encore le spectre de la famine et où plus de 80 % de la population est analphabète, on voit mal en effet ce que peuvent bien signifier des expressions comme « droit à l’éducation, au travail, à l’information... ». Enfin, et ce n’est pas le moindre mal, l’affermissement du pouvoir personnel repose pour une grande part sur la politisation de la justice ordinaire et l’extension de la justice politique au détriment de la justice ordinaire, chaque fois que les « circonstances » l’exigent. En 1962 le président Modibo Keita n’hésitait pas à déclarer : « Les juges de la République du Mali ne doivent pas être conduits, au nom de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la séparation des pouvoirs, à perdre de vue qu’ils sont d’abord et avant tout des militants de l’Union soudanaise... »

Dans ces conditions, on comprend que la tentation d’étendre la notion de délit politique à toute forme d’opposition conduise à l’instauration de juridictions d’exception dont la sévérité et l’iniquité n’ont pas échappé aux observateurs des grands procès d’Alger et de Yaoundé. Une des raisons avancées par les dirigeants africains pour justifier cette rigueur est la nécessité d’assurer la stabilité des institutions en vue de résoudre les nombreux problèmes auxquels sont confrontés les Etats africains. Mais cet objectif est rarement atteint, ainsi qu’en témoigne la fréquence spectaculaire des coups d’Etat perpétrés par les militaires.

Au-delà de ces péripéties, la question qui se pose est de savoir si les politiques pratiquées par les gouvernements africains depuis les indépendances nominales ont eu pour effet, sinon de réaliser une véritable révolution, du moins d’engager leurs Etats dans la voie du développement et de l’indépendance réelle. Aux plans économique et culturel, il faut bien reconnaître qu’on assiste un peu partout à un développement du sousdéveloppement, qu’il s’agisse des pays néo-capitalistes ou de ceux qui prétendent suivre une voie africaine du socialisme, avec tous les aléas et les incertitudes attachés à cette formule. Tandis que, sous le couvert d’une apparente croissance (par exemple en Côte-d’Ivoire), la situation économique tend en réalité à se dégrader au détriment du plus grand nombre (en raison notamment du recul des cultures vivrières) on peut dire que, dans le domaine culturel, l’école et l’Université demeurent, comme l’économie, essentiellement extraverties. Actuellement, en effet, l’enseignement africain vise davantage à transmettre un modèle occidental qu’à faire des Africains des hommes de culture et des agents de développement.

D’une façon générale, on peut donc estimer que l’indépendance est demeurée jusqu’à nos jours un véritable mythe et que tous les régimes mis en place en Afrique se rejoignent sur un point commun : la permanence d’une politique qui, à travers ses fluctuations, tend à maintenir les populations africaines dans une situation assez peu différente de la situation coloniale,

David Wakam