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Opération Epervier- Comprendre réellement pourquoi Paul Biya a finalement lâché son « successeur » : [une enquête de l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique]

, Mebe Ngo’o

Cet article que signe Georges Dougueli dans l’hebdomadaire panafricain, Jeune Afrique, retrace les grandes lignes des scandales qui ont valu la convocation devant le Tribunal Criminel Spécial (TCS), de l'ancien tout puissant ministre, Mebe Ngo’o, jusqu’au mandat de dépôt à la prison de Kondengui.

 

Lire ci-dessous l’article de Jeune Afrique en intégralité

 

L’EX-CHEF DE CABINET DU CHEF DE L’ÉTAT A LONGTEMPS ESPÉRÉ QUE CE DERNIER SIFFLERAIT LA FIN DE SES ENNUIS JUDICIAIRES. EN VAIN.

Cette fois-ci, il n’est pas rentré chez lui. Le 9 mars, le fol espoir auquel s’accrochait encore la famille d’edgar Alain Mebe Ngo’o s’est évanoui alors que s’éloignait la navette le transportant vers la prison de Kondengui. Depuis plusieurs jours, l’ex-ministre était dans le viseur des enquêteurs de l’opération Épervier. Entendu au Tribunal criminel spécial (TCS), accusé de détournement de fonds publics et de corruption, il a donc fini par être incarcéré. Un dénouement prévisible pour ce feuilleton made in Cameroun mêlant tragédie familiale, thriller financier et réseaux françafricains. Jusqu’au bout, Mebe Ngo’o, à 62 ans, a espéré que Paul Biya sifflerait la fin de ses ennuis judiciaires.

Ces derniers mois, il a adressé deux courriers au chef de l’état, dont il fut le directeur du cabinet civil (de 1997 à 2004), puis délégué général à la Sûreté nationale (2004-2009), ministre de la Défense (de 2009 à 2015) et des Transports (de 2015 à 2018). Étoudi ne lui a pas répondu, mais le 14 février, alors qu’il est auditionné pour la première fois, il veut encore y croire. Imperturbable, il se présente devant les enquêteurs en élégant costume croisé sombre, cravate à pois, Légion d’honneur épinglée sur la poitrine. Les magistrats l’interrogent notamment en raison de soupçons de détournement et de surfacturations dans des contrats d’achat passés avec la société française d’équipement militaire Magforce, du temps où il était à la Défense. Après l’audition, alors qu’il repart dans sa berline l’air assuré, tout Yaoundé le croit tiré d’affaire. On sait aujourd’hui qu’il n’en était rien. Convoqué de nouveau le 5 mars, Mebe Ngo’o est cette fois interrogé en présence de ses coïnculpés. Car pour comprendre cette affaire qui a fait chuter l’un des plus puissants dignitaires du régime, qui s’est longtemps rêvé en successeur de Biya et dont la bonne fortune alimentait les ambitions, il faut s’intéresser à plusieurs autres de ses protagonistes. Il y a d’abord Robert Franchitti , le patron de Magforce, 68 ans aujourd’hui.

Le Corse est une figure bien connue de la Françafrique. Il a ses entrées à Bamako aussi bien qu’à Yaoundé. Sa société a décroché plusieurs marchés en Afrique, et lui-même a toujours soigné ses intermédiaires. Il connaît bien Mebe Ngo’o et sa famille, ainsi qu’en témoigne la retranscription d’écoutes téléphoniques réalisées en 2014 par les policiers de l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et publiées par l’hebdomadaire français Le Point en 2017 : les deux hommes se tutoient et discutent aussi bien de la guerre contre Boko Haram que du couple Hollande-gayet.

Autre personnage : Ghislain Victor Mboutouellé, 50ans. Ce lieutenant-colonel de l’armée camerounaise est l’homme clé de la galaxie Mebe Ngo’o. Son bureau était l’antichambre de celui du ministre de la Défense. Chef adjoint du secrétariat militaire, il a alors la haute main sur les marchés de l’armée. Principal interlocuteur de Magforce, il supervise chaque année la fourniture d’uniformes pour près de 10 millions d’euros. Le prestataire français fournit les équipements contre paiements effectués à partir des comptes hors budget de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) ou par virement direct du Trésor camerounais.

L’argent est parfois versé sur les comptes de sociétés offshores. La lucrative affaire se poursuit jusqu’en 2014, quand la justice française décapite le réseau en perquisitionnant les locaux de l’entreprise implantés à Aubervilliers, au nord de Paris, et en mettant en examen pour « corruption d’agents publics étrangers » plusieurs de ses dirigeants, dont Robert Franchitti. Pour Mboutou, les ennuis viendront plus tard. Le 6 avril 2016, alors que Mebe Ngo’o a déjà été muté aux Transports et qu’il s’est lui-même reconverti dans la diplomatie, devenant attaché militaire à l’ambassade du Cameroun à Rabat, il est arrêté à l’hôtel Majestic, à Paris, par des policiers de L’OCRGDF. Il faut dire que l’homme n’a jamais songé à se faire discret et que, comme son mentor, il a le goût des belles choses. Selon l’organisme Tracfin, il a dépensé 57621 euros chez Louis Vuitton entre 2013 et 2016.

Les limiers français, qui le suivaient depuis des années lors de ses multiples voyages dans l’hexagone, le soupçonnent de s’être fait remettre de l’argent par divers intermédiaires de Magforce. Ils ont pu établir qu’il avait reçu au moins 704000 euros. Caisse noire Durant sa garde à vue, le patron de Magforce reconnaîtra devant les policiers l’existence d’une « caisse noire » (les procès-verbaux cités par Le Point en attestent). Depuis que les banques françaises rechignent à ouvrir des comptes aux dignitaires africains non résidents, il n’est pas rare que certains d’entre eux aient recours à des « amis » chargés de gérer pour leur compte l’argent mal acquis. Lorsqu’il sera plus tard interrogé par les enquêteurs français, Ghislain Victor Mboutou Ellé prétendra d’abord que l’argent lui appartient, qu’il l’avait laissé en dépôt à Franchitti. Pour se sortir de ce mauvais pas, il tentera même, selon des informations obtenues par JA, de soudoyer les policiers. Mal lui en a pris ! Dans leur procès-verbal, ils mentionnent trois infractions: « abus de biens sociaux », « proposition ou fourniture d’avantage à un agent public d’un État étranger » et « blanchiment aggravé ». Mais l’affaire n’ira pas plus loin.

En tant qu’attaché militaire séjournant en France muni d’un ordre de mission, il est protégé par l’immunité diplomatique. Libre de ses mouvements, il regagne le Maroc. Pendant plusieurs mois, toutes les notes d’information adressées au président camerounais se perdront dans les couloirs du palais d’Etoudi… Jusqu’à ce qu’en novembre dernier Paul Biya ordonne son affectation à la base aérienne de Garoua, d’où il a été tiré pour le pénitencier de sinistre réputation. D’autres personnages de moindre importance gravitent autour de Mebe Ngo’o, comme Victor Menye, directeur général adjoint de SCB Cameroun, la filiale locale du groupe marocain Attijariwafa Bank, mais aussi Maxime Mbangue, ancien inspecteur du Trésor formé à l’école nationale d’administration et de magistrature (Enam) et ex-conseiller technique au ministère de la Défense qui se prévaut de compétences en matière de finances. Ce catholique, qui commence ses journées aux aurores par une messe, a quitté l’orbite Mebe Ngo’o après une brouille avec ses amis, mais cela n’a pas suffi à le mettre à l’abri de la justice. La confrontation organisée le 5 mars au TCS entre Mebe Ngo’o, Mboutou, Menye et Mbangue n’a livré aucun secret, mais tous dorment désormais en prison. La famille de Mebe Ngo’o elle-même est dans la tourmente.

Ce jour-là, alors qu’elle attendait sur le parking du tribunal de savoir quel sort allait être réservé à son époux, Bernadette Mebe Ngo’o, 57 ans, a reçu un appel du procureur lui demandant de venir dans son bureau. Elle en ressortira décomposée : le parquet vient de lui signifier qu’elle-même est convoquée pour le lendemain matin. À 17 heures, la nouvelle tombe: le ministre est placé en garde à vue. L’épouse, elle, a fait un malaise lors de la perquisition de son entreprise de location de voitures. Hospitalisée plusieurs jours durant, elle rejoindra son conjoint à Kondengui le 10 mars, en fauteuil roulant. Chute vertigineuse Pour Mebe Ngo’o, la chute est vertigineuse. Voilà l’enfant gâté du régime devenu son mouton noir. Son étoile a pourtant brillé si tôt! Rien n’avait semblé pouvoir freiner son ascension depuis que le destin lui avait fait rencontrer Paul Biya, au début des années 1990.

Ce jour-là, le jeune administrateur civil frais émoulu de l’enam doit remplacer le gouverneur du septentrion, Fon Fossi Yakun Taw, cloué sur un lit d’hôpital, et accueillir le président, alors en tournée provinciale. Il se présente, prenant soin de rappeler qu’il est le fils de Ngo’o Mebe, un ancien député que Biya avait bien connu. Ce bref échange changera sa vie. Devenu préfet de la capitale, il se mêle du psychodrame déclenché par la brouille entre le président et son ami Titus Edzoa, rappelant au prolixe ex-secrétaire général de la présidence son devoir de réserve. « Lui au moins a le courage de me défendre », commente Biya, appréciant la loyauté de ce jeune loup originaire de Zoétélé, dans le sud du Cameroun. En 1997, il lui confie la direction du cabinet civil. Plus tard, il prendra la tête de la Police nationale.

En 2008, c’est Paris qui le remarque, à la suite du dénouement heureux de la prise en otage de dix marins du remorqueur français Bourbon Sagitta dans les eaux du delta du Niger. L’élysée propose alors de le décorer de la Légion d’honneur. Mebe Ngo’o est ambitieux mais prudent. Il a donc soin de demander à Biya l’autorisation d’accepter la breloque. Puis, pour ne pas le brusquer, il insiste pour qu’elle lui soit remise non pas à l’élysée, mais place Beauvau, chez Brice Hortefeux, avec lequel il soigne ses liens. Mebe Ngo’o a beau savoir ce qu’il peut en coûter d’afficher trop clairement ses ambitions, il ne peut s’empêcher d’y voir un signe. Cette Légion d’honneur, il la voit comme un adoubement de la France, et c’est en dauphin qu’il rentre à Yaoundé. Fasciné par le président Sarkozy, dont il est convaincu d’avoir indirectement reçu l’onction, il pousse le fétichisme jusqu’à louer un appartement lui ayant appartenu, sur l’île de la Jatte, à Neuilly-sur-seine. Il le confiera d’ailleurs plus tard à l’un de ses interlocuteurs : si Sarkozy était parvenu à se faire réélire en 2012, alors lui serait déjà à Étoudi…

Et de fait, parmi les prétendants à la succession, Mebe Ngo’o a quelque chose en plus. Charismatique et sûr de lui, portant beau le costume, il suscite l’admiration autant que la jalousie. N’a-t-il pas pendant longtemps bénéficié d’un accès direct au président, qui n’est pourtant pas réputé proche de ses ministres ? Et il n’est pas le seul à croire en ses chances : Yaoundé le courtise, une partie de la hiérarchie militaire aussi.

Dans la capitale, le ministre peut compter sur le soutien de son collègue au gouvernement, Basile Atangana Kouna (aujourd’hui incarcéré), de Paul Atanga Nji, alors chargé de mission à la présidence (et devenu depuis ministre de l’administration territoriale), et même du contre-amiral Joseph Fouda, l’aide de camp du chef de l’état. Mais toujours il veille à réaffirmer sa loyauté à l’égard de Paul Biya. « Je suis au service du président », nous avait-il répondu il y a quelques mois, alors que nous l’interrogions sur ses intentions. Finalement sorti du gouvernement en mars 2018, Mebe Ngo’o a désormais tout le loisir de mesurer l’ampleur du rejet que sa réussite et son assurance ont fini par susciter. « Enfin ! » se sont gargarisés la plupart des quotidiens en apprenant que le TCS s’intéressait à lui. Tout y est passé : son peu d’estime pour les journalistes depuis que son service de sécurité a malmené un reporter du Jour ; son vaste domaine équipé de miradors ; son parc automobile bien garni ; ses costumes à plusieurs milliers d’euros livrés par Monsieur Pape, célèbre maître tailleur sénégalais installé à Paris ; ses cortèges d’une quinzaine de voitures qui ont fait jaser en 2009 lorsque, six mois durant, il a cumulé les fonctions de patron de la police et de l’armée. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le pouvoir lui avait fait perdre la tête », soupire un ex-collègue au gouvernement. Lui nous avait donné une explication plus prosaïque : « Je n’ai jamais demandé à avoir autant de voitures dans mon escorte. Les services spécialisés des différents corps que je commandais se sont imposés d’eux-mêmes. » Sous le feu des critiques Tancé pour ses manœuvres qui auraient coûté leur carrière à des congénères plus estimables que lui, il est aujourd’hui décrit à longueur d’articles comme un politicien dans le sens péjoratif du terme. Parmi ses détracteurs, Urbain Olanguéna Awono, ex-ministre de la Santé incarcéré depuis 2008.

Dans son livre Mensonges d’état, publié en 2016, il accuse : « L’une des grandes inventions de ces petits machiavels des tropiques camerounaises aura été la création à l’orée de 2005 de ce qu’ils ont eux-mêmes baptisé le G11. […]. À cette époque, c’est un certain Alain Mebe Ngo’o qui était le chef du corps de la police, pendant que son grand frère Ze Meka Remy occupait la fonction stratégique de ministre de la Défense. Les écuries de ces deux hommes, originaires de l’arrondissement de Zoétéle, département du Dja-et-lobo, région du Sud, et donc très proches des origines du chef de l’état, ont inventé et popularisé l’histoire du G11. » Qu’était ce fameux G11? Un groupe de jeunes cadres à qui l’on prêtait le dessein de préparer l’après-biya. Le président camerounais a-t-il vu venir Mebe Ngo’o ? L’a-t-il enduit de miel pour mieux le livrer aux fourmis magnans? Une chose est sûre : le système que le ministre déchu a longtemps servi n’a pas hésité longtemps avant de l’emmurer à Kondengui. Comme bien d’autres avant lui.