Le mercredi 25 mai 1955, à Yaoundé, l’armée coloniale tire sur des manifestants aux mains nues, en provenance du quartier Mokolo. Ceux-ci se rendent à l’Hôpital Central pour retirer le corps d’un boy (employé de maison) assassiné par un colon trois jours auparavant, raconte Enoh Meyomesse écrivain camerounais engagé.
Il y a des morts. La ville est bouclée. Le couvre-feu est instauré, de six heures du soir à six heures du matin.
Roland Pré, le Haut-commissaire de la République française au Cameroun, est enfin parvenu à « noyer, dans le sang, la contestation du colonialisme, dans ce territoire sous tutelle des Nations Unies, à l’administration confiée à la France » précise l’écrivain.
Évocation
Des centaines de Camerounais, voire des milliers convergent vers l’hôpital central.
Ils ont procédé à un important travail de mobilisation quelques jours avant.
Les colons ne veulent pas de cette levée de corps qui se transforme en une manifestation politique en faveur des nationalistes.
Ils exigent que seuls les membres de la famille du défunt soient présents. Ce à quoi s’opposent les Camerounais. Ils estiment, pour leur part, que le décès de ce boy est un acte raciste, et que tout Camerounais est en mesure d’être tué de cette manière. En conséquence, ce sont tous les Camerounais qui sont concernés par cet assassinat.
Dialogue de sourd.
Les colons, face à la détermination des Camerounais, font immédiatement appel à l’armée. Celle-ci arrive par camions entiers. Elle se poste à la hauteur de l’actuelle paroisse de l’Eglise Presbytérienne à Messa. Un officier français avance vers les manifestants. Il leur demande de s’arrêter. Ceux-ci, qui se trouvent déjà au niveau de l’école de filles de Messa (actuellement, Ecole Publique de Messa), lui rétorquent qu’ici, c’est le Cameroun, il n’a qu’à aller donner ses ordres, dans son pays, en France.
Derrière les manifestants se trouvent de nombreux gosses qui chantent : « hip ! hip ! Nous allons à la guerre, hip ! hip ! nous allons à la guerre ». Chacun d’eux porte à l’épaule un bâton, en guise de fusil et marche au pas. Le Français avance encore et trace une ligne sur la chaussée, avec son sabre. Il leur dit, si vous franchissez cette ligne, je donne l’ordre de tirer. « Dépêchez-vous de donner votre ordre, rétorquent les Camerounais, nous sommes fiers de mourir comme notre frère dont nous allons retirer le corps.
Pourquoi n’avez-vous pas donné cet ordre hier quand les troupes d’Adolf Hitler marchaient dans les rues de Paris ? » Lui demandent les manifestants camerounais.
Ceux-ci continuent d’avancer. Et les gosses continuent de chanter : « hip ! hip ! nous allons à la guerre, hip ! hip ! Nous allons à la guerre ». Le militaire recule. Il trace de nouveau une ligne sur la chaussée et répète aux manifestants de ne pas la franchir, sous peine d’être tués. « Tuez-nous, et vite », lui répondent ceux-ci, sans arrêter d’avancer. «Hip ! hip ! Nous allons à la guerre, hip ! hip ! nous allons à la guerre ».
Le militaire se tourne alors vers sa troupe. Celle-ci met un genou au sol, arme les fusils, met les manifestants en joue. Ces derniers, de leur côté, ne désemparent pas et entonnent plutôt le « Chant de ralliement » : « Ô Cameroun berceau de nos ancêtres/ autrefois tu vécus dans la barbarie/ comme un soleil, tu commences à paraître/peu à peu tu sors de ta sauvagerie/ (la version originale de l’Hymne national ». Courroucé, le Français lève le bras : « à mon commandement… feu ! ». La troupe tire plusieurs salves.
C’est le carnage.
Une cinquantaine de Camerounais est fauchée par les balles des fusils. Le sauf qui peut est général. Certains fuient, le ventre ouvert, et en tenant leurs intestins en mains.
En un rien de temps, la nouvelle du carnage envahit la ville. L’indignation et la révolte, du côté des Camerounais, sont au paroxysme. Toute la ville est bouclée par l’armée. Le couvre-feu est immédiatement décrété. Une automobile de l’administration, de marque Simca, modèle Aronde, munie de deux hautparleurs, passe de quartier en quartier pour demander à la population de ne pas sortir de chez elle. Personne n’est autorisé à quitter son domicile jusqu’au lendemain matin. La police passe la nuit à ratisser les quartiers « indigènes », selon la phraséologie de l’époque, à la recherche des « subversifs ». Aux alentours de 19 heures, l’armée entreprend le ramassage des corps des victimes et procède à leur inhumation dans une fosse commune creusée, à la hâte, par une pelle-chargeuse, à l’emplacement actuel du siège de l’Oceac, en face de la morgue de l’hôpital central de Yaoundé. Des témoins oculaires avancent le chiffre de cinquante à cent corps ensevelis sous la lumière des phares d’un camion militaire;
Koaci