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Témoignage de Antoine Tafako Dongmo arrêté le 26 janvier 2019 dans le cadre de la marche blanche du MRC à Dschang

Mon intervention du 07 mars 2019 devant le juge de l'habeas corpus!

Madame la présidente,
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre tribunal avant que l’on me passe à la guillotine tel que nos bourreaux l'on annoncé.

Madame la présidente,
Je totalise aujourd’hui 24 mois d'arriérés de loyer. Et si ma Bailleresse n'était pas compréhensive, je me serais déjà retrouvé devant l'un de vos collègues pour loyer impayé. Cela peu vous paraître sans rapport avec les faits qui me sont reprochés. Pourtant tout ça et bien d’autres misères que je n’ai pas le temps de développées ici sont en rapport étroit avec notre désir absolu de changement, ce désir qui est au fondement des évènements du 26 janvier pour lesquels je me trouve devant vous aujourd’hui. En effet, madame la juge, la question est : pourquoi je ne règle pas mon loyer? Ou plus exactement : pourquoi suis-je incapable de régler mon loyer ? 
Si certains ont choisi de gagner leur vie en se faisant employer, j’ai choisi de gagner la mienne en m'auto employant. Je suis éditeur et écrivain. Je devrais donc pouvoir tirer mes revenus entre autres de la vente des œuvres de l'esprit que je produis. Après 12 ans de collecte d'informations, j’ai porté sur des fonts baptismaux un important pan de l'histoire politico institutionnelle de notre pays que j'ai consigné dans un ouvrage intitulé Répertoire illustré des membres du gouvernement et assimilés de la République du Cameroun, 1957-2015. 

Réceptacle des savoirs enfouis dans la poussière de l’histoire, cet ouvrage est le cinquième à mon actif. Au nom de sa valeur documentaire et historique indéniable, il a été si apprécié que de nombreux membres du gouvernement et Maires en ont commandé des exemplaires pour enrichir la bibliothèque des institutions dont ont la commande. Le nombre d'exemplaires étant très important, les éditions de l'espérance dont je suis un des promoteurs ont dû recourir à des emprunts privés pour en produire, les banques n'étant pas, dans notre contexte, souvent disposées à accompagner de tels projets. J'avais alors la naïveté de croire que les factures seront réglées avec la même diligence que les commandes avaient été passées. Plus d'un an après la livraison, je cours encore derrière les factures qui se trouvent aux finances. Lorsque je m'y rends souvent, c'est avec une déconcertante désinvolture doublée de mépris que des fonctionnaires au zèle intempestif me disent que les caisses sont vides. Déjà, pour que ces factures partent des structures qui ont passé les commandes pour les finances, ce fut un chemin de croix. Pour le cas de la mairie de Yaoundé premier, alors que le maire de cette commune nous a fait l'honneur de signer la postface de cet ouvrage, la comptable matière a gardé la facture dans son tiroir pendant 4 mois avant de délivrer le bordereau de livraison. Il aura fallu que je me plaigne chez le maire et que ce dernier interpelle cette collaboratrice pour qu’elle daigne signer ce document, non sans m’avoir menacé de faire obstacle avec le concours du receveur pour que jamais cette facture ne soit réglée. Sa menace semble effectivement avoir été mise en exécution puisque cette facture de près de deux millions de nos franc reste impayée jusqu'à nos jours.

Madame la juge,
Invariablement, la tension de trésorerie est avancée pour justifier le non payement de mes factures. Paradoxalement, des fonctionnaires ont un train de vie princier, certains ont plusieurs matricules et à chaque fois que l'un d'entre eux est interpelé, le montant du détournement se chiffre en centaines de millions. Pour moi comme pour d'autres dont les factures sommeillent dans les tiroirs du ministère des finances, cette situation est insupportable. Notre indignation se justifie d'autant plus que ce comportement des agents de l’état n’est pas marginal, et ceux qui bloquent le payement de nos factures se recrutent parmi les fossoyeurs de la République.

Madame la présidente,Face à cette situation, un citoyen normal ne peut aspirer qu’au changement, en dehors bien entendu de ceux qui profitent de ce dysfonctionnement de nos services publics. Le MRC nous invite à penser le Cameroun autrement, à le penser comme nous en rêvons tous, c’est à-dire un Cameroun où les agents de l’Etat sont avant tout de humbles serviteurs de la République et où la justice sociale est de mise. Vous comprenez donc mon adhésion à ce parti. Ceci dit, lorsque la marche du 26 janvier a été annoncée, j'ai spontanément, et je ne le regrette point, décidé d'y prendre part dans la mesure où l'un des objectifs majeurs était de dénoncer la gabegie et la gestion de notre pays à la petite semaine. Ce que nous défendions par cette marche est d'autant plus fondé que nul ne peut raisonnablement affirmer que ce pays est bien gouverné. La preuve à l’instant même où je vous parle, je vous vois, vous dont la mission est hautement importante pour le bon fonctionnement de notre pays, je vous vois vous servir d'une chemise cartonnée pour comme d’un ventilateur. La lutte que nous menons transcende donc, madame la juge, nos intérêts personnels. 

Madame la présidente,
Ce 26 janvier donc, je suis allé prendre part à cette marche pacifique. C’est à l'occasion, qu'en violation des règles en la matière, j’ai été arrêté. J'ai quelque fois été témoin des écarts de comportement de certains hommes en tenues pour qui faire preuve de bon sens semble être une faute. Mais ce jour particulièrement, j'ai découvert combien ces employés de l'Etat dont le rôle est de protéger les hommes et leurs biens peuvent aussi représenter une sérieuse menace pour ces derniers. Nous avons été roués de coups par ces hommes qui sont curieusement très souvent indisponibles quand nous les appelons au secours, avant d'être jetés en cellule de la brigade territoriale de Dschang. Une fois dans cette cellule sans ouverture et sans lumière, un gendarme au grade de vaguemestre est venu verser de l'eau sur nous et a plusieurs reprises. Il en a versé aussi sur le sol. Séquestré dans une cellule sans lumière ni toilette, c’est dans un seau que nous faire nos besoins. Imaginez un homme qui a une vue normale et qui le temps d'une nuit doit développer les aptitudes d'un aveugle pour repérer ce seau dans l'obscurité la plus totale et y faire ses besoins tout en réalisant l'exploit de ne pas laisser tomber une goute d'urine au sol. En plus du froid glacial de Dschang, le sol de la cellule était mouillé. Voilà, madame la présidente, le type de pays contre lequel nous luttons. Si avant nous il n’y avait pas eu des gens pour se soulever contre la barbarie de certains hommes contre d’autres, la traite négrière serait probablement encore un sujet d’actualité.

Le lendemain, un dimanche, nous avant été conduit sous haute escorte à la prison de Dschang. Je vous épargne des descriptions du comportement moyenâgeux de nos geôliers. Lundi soir, alors que nous avions déjà regagné nos lits ou ce qui en tenait lieu, un gardien est venu me demander de prendre mon sac et de sortir. Je pensais alors que nous étions libres, que notre pays était encore gouverné avec un certain sens de la justice et que cette réalité aurait probablement eu raison de ceux qui travaillent sans cesse à nous ramener à l’Etat de nature. Que non ! Une fois à l'extérieur de la prison, les autres et moi avons trouvé un impressionnant dispositif sécuritaire qui nous attendait. C'est ainsi que nous avons été embarqué dans un car à destination de Bafoussam par des policiers dont le chef d'équipe, une dame, tout au long du trajet, prenait du plaisir à gifler Vaugelas.
A Bafoussam, âpres une escale de quelques minutes à la police judiciaire, la destination suivante fut la cellule de la délégation régionale de la sureté nationale. L'odeur nauséabond dans cette cellule indiquait qu'il y'avait bien des lustres qu’elle n'avait pas été lavée. A 23 h, alors que nous restions éveillés, l’environnement ne nous ayant pas permis de dormir, nous entendons arriver quelques policiers. « Sortez et prenez vos effets !! », nous disent-ils. Une fois à l'extérieur, un autre impressionnant dispositif sécuritaire est en place. On nous somme d'entrer dans le camion garé dans la cour. Quelle est la destination? 

Nous n'en savons rien. Sur le chemin, leur comportement amène certains d'entre nous à penser que nous allons être éliminés avant le levé du jour. Nous ne sommes pas autorisés à nous mettre à l'aise. Le chauffeur roule a tombeaux ouvert et à trois reprises, nous échappons à l'hécatombe. Nous arrivons finalement à Yaoundé autour de 4 heures du matin. Apres une brève escale à la police judiciaire, on nous amène vers une destination que nous ne connaitrons que le lendemain, car à peine le véhicule prit la route qu'il eu coupure d'électricité dans la ville. C’est le lendemain que nous apprendrons que nous sommes au siège du commandement central du groupement mobile d'intervention. Cette nuit là, nous fûmes déversés comme des ordures à cet endroit, et c’est à la belle étoile, dans une clôture digne des camps de concentration, que nous passâmes le peu de temps qu'il restait avant le levé du jour. Conduits dans un magasin qui tenait lieu de cellule, nous y sommes restés de ce jour au 13 février. Madame la présidente, pour ne pas vous faire perdre l’appétit pendant plusieurs jours, je m’abstiens de vous décrire l'état des toilettes dans lesquelles nous faisions nos besoins. Ce 13 février, nous sommes transportés pour le tribunal militaire. Nous étions plus de150 personnes. Nous y avons passé 48 heures, dans une salle d'audience exigüe et non ventilée avant d'être mis sous mandat de dépôt à la prison centrale où au quotidien, nous côtoyons les hommes d'une dangerosité établie. Notre seul crime, madame la présidente, celui qui nous vaut les traitements inhumains dont je viens de vous faire le récit, c’est d’avoir participé à une marche pacifique pour demander que notre pays soit mieux gouverné, pour dénoncer l'irresponsabilité notoire de certains de nos dirigeants, leur cupidité maladive et la confiscation du bien commun par une infime minorité du peuple camerounais. C’est d’avoir osé, dans un pays qui se veut pourtant démocratique, exprimer notre mécontentement à la suite d’un processus électoral qu’on aurait pu qualifier de tout sauf de transparent.

Madame la présidente, compte tenu du caractère illégal des conditions et du mobile de notre arrestation, du traitement déshumanisant dont nous avons été victimes dans un pays de droit, nous espérons que vous répondrez favorablement à notre demande de libération immédiate car au final, s’il y a bien des gens sur qui le peuple camerounais peu encore compter pour stopper ce retour flagrant et progressif vers l’Etat de nature que notre pays a amorcé depuis que le Renouveau est chancelant, c’est bien vous.

J'en ai terminé, je vous remercie.
Antoine Takafo

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