Au Cameroun comme ailleurs, gouverner c’est dialoguer

Malgré de multiples tentatives, les Camerounais semblent incapables d’échanger de manière apaisée et constructive sur les sujets qui les divisent. C’est pourtant la condition indispensable à une vraie réconciliation.

Il y a soixante ans, le 17 juillet 1961, le Cameroun indépendant organisait ses premières assises nationales : la conférence de Foumban. Il s’agissait alors, après le vote en faveur de la réunification des parties « francophone » et « anglophone », de poser les jalons de cet ambitieux projet de vie commune et, prosaïquement, d’éviter que la première n’impose son diktat à la seconde. Placée sous la houlette des deux artisans politiques de la réunification, le président Ahmadou Ahidjo et le Premier ministre John Ngu Foncha, la conférence de Foumban faisait figure de précurseur du dialogue  politique au Cameroun.

Deux autres périodes majeures de l’histoire du pays ont elles aussi engendré l’ouverture de dialogues visant à apaiser les tensions au sein de la société. D’abord, à la grande époque des conférences nationales souveraines, la fronde sociale conduite par des formations politiques et des organisations de la société civile, qui a abouti à la tenue de la tripartite (gouvernement-opposition-société civile) de 1991. Ensuite, la guerre intestine dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui a conduit à l’ouverture, en 2019, du Grand Dialogue national.

Parole contestée

Pourtant, aujourd’hui, il faut bien se rendre à l’évidence, les gains escomptés de ces diverses assises se font toujours attendre. Au fil des décennies, la cohésion sociale s’est érodée, tant et si bien que la paix, que les dirigeants du pays ont toujours considérée comme immuable, est désormais en péril, minée par une crise protéiforme. La transformation économique est elle aussi en panne et la gouvernance publique cristallise les mécontentements.

Décideurs publics et privés se livrent à un véritable dialogue de sourds

En toile de fond : une crise de la parole, que nul ne peut nier. La légitimité de la parole, tant celle des gouvernants que celle des gouvernés, est contestée. Au quotidien, décideurs publics et privés se livrent à un véritable dialogue de sourds. Dès lors, réhabiliter le dialogue est la seule voie susceptible de catalyser à nouveau les énergies et de libérer le génie créatif des Camerounais. Un tel dialogue, franc et inclusif, permettra d’évacuer les frustrations enfouies en chaque citoyen.

Dans de nombreux pays africains, la résolution des grandes crises se fonde prioritairement sur la mise en place d’espaces de dialogue collectif susceptibles de restaurer la dignité des peuples, de recréer la confiance et de relancer la collaboration. Cela s’est vérifié avec l’Instance équité et réconciliation au Maroc, la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud, la Commission dialogue, vérité et réconciliation en Côte d’Ivoire ou encore les Gacaca au Rwanda.

Le Cameroun ne saurait faire exception, d’autant qu’il peut très bien s’inspirer d’un mode de gouvernance éprouvé par nos sociétés, la palabre. En effet, ancrée dans nos lois fondamentales ancestrales comme la Charte du Mbok et nos pratiques culturelles traditionnelles, elle reste particulièrement pertinente dans les sociétés où le consensus prime sur la loi du vote. Or il n’y a pas de consensus sans dialogue.

En tout état de cause, mieux vaut ne pas attendre que surviennent des drames inextricables pour envisager la création de ces espaces de dialogue dont l’efficacité semble avérée. D’ores et déjà, État et société civile peuvent encourager la mise sur pied de nouveaux cadres de concertation à plusieurs niveaux impliquant des acteurs multiples ainsi que l’ensemble des forces vives du pays. Ce n’est qu’à ce prix qu’une réconciliation véritable sera possible et que seront restaurées la paix, la justice et la prospérité.

Favoriser l’éclosion d’une véritable plateforme permanente et efficace de dialogue entre l’État et le secteur privé

Il devient donc urgent non seulement de rompre avec l’unilatéralité des prises de décision publique mais surtout de passer de l’événementiel à l’institutionnel, du conjoncturel au structurel et du ponctuel au permanent dans notre approche du dialogue. Seule une telle démarche permettra un dialogue inclusif, concerté et, in fine, consensuel. Publiée en octobre dernier par notre Think Do Tank, notre étude « Perspectives sur la cohésion sociale, la transformation économique et la gouvernance au Cameroun » offre des pistes intéressantes à explorer tant sur les plans politique et économique que social.

Ainsi, sur le plan politique, on peut regretter l’absence de véritable plateforme de dialogue entre l’État et la société civile au Cameroun. Pour rappel, un pays comme le Burkina Faso s’est doté d’un cadre, présidé par le chef de l’État, permettant cette concertation. De la même manière, au niveau local, la concertation doit être encouragée. Des cadres communaux pourraient ainsi être envisagés afin d’associer les citoyens à la gestion des affaires de la commune.

Sur le plan économique, l’opérationnalisation du Conseil économique et social reste une priorité afin de permettre un véritable dialogue entre les acteurs économiques et sociaux clés de notre pays. Aussi, le Cameroon Business Forum mériterait de faire l’objet d’une refonte afin de favoriser l’éclosion d’une véritable plateforme permanente et efficace de dialogue entre l’État et le secteur privé. À ce sujet, il serait intéressant d’étudier la proposition du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) de mettre sur pied un Cameroon Business Council et de la concrétiser.

Les arbres à palabres, de véritables « agora »

Sur le plan social enfin, la tenue des états généraux annoncés depuis plus d’une décennie dans divers secteurs, notamment ceux de la santé et de l’éducation, devient urgente pour réactiver les échanges au sein de différentes catégories socioprofessionnelles. De même, une véritable culture du dialogue doit renaître au sein de toutes les couches de la population avec la promotion et la vulgarisation d’arbres à palabres, véritables « agora » ancrées dans les territoires urbains et ruraux pour permettre aux citoyennes et citoyens de débattre physiquement et/ou virtuellement des « affaires de la cité » et, partant, de créer une véritable culture du débat public au Cameroun.

Les grands défis locaux, nationaux, sous-régionaux, continentaux et internationaux de notre époque obligeront inévitablement nos sociétés à se réinventer et à changer de paradigme pour évoluer vers une gouvernance politique, économique et sociale plus participative, plus juste et plus responsable. Au cours de cette année 2021 et à la faveur de la célébration du soixantenaire de la conférence de Foumban, le Cameroun a l’opportunité de prendre les devants et d’être à l’avant-garde, en puisant dans son passé pour réinventer l’avenir de la gouvernance, une gouvernance par le dialogue et un dialogue vivant. Dialoguons encore et toujours, mais mieux et efficacement !

 

 

Jacques Jonathan Nyemb

Avocat d’affaires, président du Think do Tank The Okwelians, membre du conseil d’administration du Gicam

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