« Et vous, mes compatriotes américains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. » Cette célèbre phrase de Henry Ford que l’on peut lire dans son autobiographie intitulée « Ma vie et mon œuvre », ouvrage publié en 1924, est lourde de sens. C’est une de ces maximes pleines d’influence qui peuvent façonner ou changer un homme, et logiquement (au moins par synecdoque), elle peut aussi changer un pays. Cette phrase, c’est la sentence même de l’individu moderne : intellectuel ou influencé par les intellectuels, l’homme moderne s’affirme de plus en plus comme un rebelle, si ce n’est un révolté avéré ou en en puissance. On peut comprendre pourquoi, à l’ère où la grande Amérique connaît son pic dans la lutte pour la conquête des droits civiques, le président fraichement élu John Fitzgerald Kennedy reprendra la phrase de Henry Ford dans son discours d’investiture le 20 janvier 1961 – c’est d’ailleurs au président Kennedy que l’on attribue souvent la paternité de cette citation. Aux grands hommes, les grandes convictions : Henry Ford, John Kennedy, l’un et l’autre auront grandement contribué à la marche du monde, chacun à sa manière.
Redescendons sur terre, dans un pays de notre temps, avec des réalités qui nous sont familières, nommons la Côte d’Ivoire. Houphouët Boigny à la fin des années 90 jusqu’à la première décennie du XXIe siècle n’aurait certainement plus reconnu sa Côte d’Ivoire natale. Le pays traverse alors une véritable crise de patriotisme. Des revendications diverses fusent de toutes les couches sociales. Les jeunes et notamment les étudiants ne sont pas en reste. Les marches, les grèves et autres mouvements de contestations dégénèrent le plus souvent en casses, pillages, vandalisme ou pire, rébellion armée. L’écrivain étant par excellence un historien de son temps, l’auteur et magistrat ivoirien Fodjo Kadjo Abo publiera pour la première fois en 2002 un ouvrage intitulé « Pour un véritable réflexe patriotique en Afrique : le cas ivoirien ». Il s’agira pour l’auteur d’éclairer les uns et les autres sur la notion de patriotisme ; faire comprendre à l’Ivoirien et aux Africains d’intelligence modeste, que, contrairement à ce que les intellectuels tapageurs de mauvaise foi veulent nous faire croire, l’Etat n’est pas « un père radin », pour reprendre une métaphore utilisée dans le livre de Fodjo Kadjo Abo par un jeune étudiant. En fait, l’Etat n’a pas toujours les moyens de sa politique, aussi surprenant que cela puisse paraître dans l’imaginaire d’un simple d’esprit.
Le civisme n’est pas un vain mot. Tout comme il faut un esprit sain dans un corps sain, un pays qui se veut civilisé a également besoin de citoyens civilisés, ou du moins qui tendent à le devenir. Mais de quoi l’Ivoirien se plaint-il, au juste, à l’époque ? Quelles sont les contrariétés et les aigreurs qui alimentent cette crise de patriotisme aiguë ? Le constat de Fodjo Kadjo Abo est clair, les contestations portent sur quasiment tous les aspects de la vie socio-politique. Il en énumère quelques-uns, de ces aspects, en rapport direct avec l’Etat, et dont il traite de manière professorale. Le domaine de l’Etat de droit tient en toute logique le premier chapitre : c’est là que l’auteur plaide pour une conception judicieuse et une défense raisonnable de la démocratie et des droits de l’homme ; il recommande plus de résistance aux manœuvres des grandes puissances (qui à la première occasion utilisent leur prétendu intérêt pour la démocratisation des jeunes nations comme un moyen de manipulation pour continuer d’asseoir leur hégémonie sur ces dernières)… Le deuxième chapitre porte sur l’insécurité : Fodjo Kadjo Abo le souligne avec raison, il faut une implication de tous contre le phénomène de l’insécurité, tout comme une contribution de tous à l’indépendance de la Justice est nécessaire ; l’autre point déterminant de ce volet, d’après l’auteur, c’est qu’une justice efficace devrait reposer en grande partie sur la peur du gendarme, et donc aussi sur la préservation du caractère dissuasif de la prison… Le troisième chapitre traite de l’incontournable sujet des temps modernes, la bonne gouvernance en l’occurrence, ce concept qui selon l’auteur doit passer par la réalisation d’une prospérité profitable à tous, une attention particulière aux problèmes dérivés des injustices sociales, ainsi que la création des conditions d’une paix durable ; une paix durable qui se décline en deux points, à savoir la sécurité extérieure et l’unité sociale… Dans le quatrième et dernier chapitre, l’auteur nous plonge dans l’univers intempestif des mouvements sociaux, les grèves, les émeutes et les manifestations intempestives (disions-nous), le problème des agitations dans les milieux scolaires et universitaires…
Enfin, l’écrivain et magistrat Fodjo Kadjo Abo conclut son ouvrage en grand maitre, en interpellant personnellement le lecteur en son âme et conscience : « Votre pays n’est pas dans l’état où vous auriez aimé qu’il soit parce que, comme beaucoup de vos concitoyens, vous manquez souvent à vos devoirs de citoyen. » A méditer au sortir de l’ouvrage.
Fodjo Kadjo Abo est aussi l’auteur de « Que ne ferait-on pas pour du pognon. », finaliste dans la catégorie Recherche à l’édition 2013 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL).
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