Gabon . « J’en ai marre… » : Rencontre exclusive avec Ali Bongo

Entre lassitude et amertume, l’ancien président gabonais a reçu Jeune Afrique dans sa résidence de la Sablière. Ses appels à la libération de son épouse et de son fils sont autant de cris dans le désert et son tombeur, Brice Clotaire Oligui Nguema, refuse de le voir.

Ce 9 février, Ali Bongo Ondimba (ABO) a fêté son 66e anniversaire, seul, dans son immense villa de la Sablière. Enfin presque seul : sa mère Joséphine Kama, alias Patience Dabany du temps de sa gloire musicale, était, comme toujours, à ses côtés. Sa sœur, Pascaline, l’une des rares à pouvoir lui rendre visite quand elle le souhaite, était à Los Angeles où elle dispose d’une résidence. Quant à ses fils Jalil et Bilal qui vivaient encore avec lui il y a quelques mois, ils ont quitté le Gabon pour Londres.

Sans doute l’ancien président gabonais, destitué le 30 août 2023, mis à la retraite d’office et placé en résidence surveillée depuis, espérait-il pouvoir le célébrer en compagnie de son épouse Sylvia et de son fils Nourredin, incarcérés au lendemain du putsch. Certes, il a pu leur parler au téléphone quelques jours avant, fin janvier, mais il attendait plus, cette libération qu’il appelle de ses vœux et à laquelle il croyait, lui qui pensait que son tombeur, Brice Clotaire Oligui Nguema s’y était engagé auprès de l’un de ses pairs d’Afrique centrale, avant le 15 janvier. Il n’en a rien été, et seul il demeure.

Aucune nouvelle de ses anciens proches, comme son directeur de cabinet de l’époque, Maixent Accrombessi, par exemple. Personne ne se bouscule au portillon, sans doute de peur d’être mal vu des nouvelles autorités… Seul son ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze est venu s’entretenir avec lui récemment.

Blindé et mitrailleuse

Après en avoir formulé officiellement la demande auprès du Palais de bord de mer, nous avons pu lui rendre visite, comme ce fut le cas en mai dernier. Rendez-vous fut pris, début février, à 15 heures. Nous accédons assez facilement à l’entrée du gigantesque compound ultra-sécurisé, situé à l’extrémité de ce quartier huppé et calme de Libreville.

Des civils, certainement employés à l’entretien de la villa, déambulent ici et là. À quelques encablures du grand portail noir en fer forgé qui donne accès à la demeure, un blindé hérissé d’une mitrailleuse lourde veille, ainsi qu’un autre qui sécurise l’entrée de service. Des membres de la Garde républicaine (GR) nous demandent la raison de notre présence avant de nous laisser passer.

Un militaire en civil nous accueille sur un petit parking, prévenu de notre arrivée. Il nous introduit par une allée qui longe la maison d’ABO, nous fait passer par un terrain de tennis qui visiblement n’a pas servi depuis longtemps puis, par un escalier en ardoises qui mène à une grande terrasse au milieu de laquelle trône une immense piscine rectangulaire.

À perte de vue, une pelouse impeccablement tondue et une végétation luxuriante, comme si nous étions en pleine forêt tropicale. ABO nous attend sur cette terrasse, assis à une longue table en bois. Polo et jogging bleus, baskets aux pieds, il tue le temps avec des sudokus ou des mots fléchés. Poignée de mains, salutations d’usage. Précisons que nous nous connaissons bien, l’auteur de ces lignes l’ayant interviewé plus d’une dizaine de fois depuis sa première élection, en 2009.

« Ça suffit ! »

Je lui demande comment il va. Après un long soupir, il répond : « J’en ai marre… Cela fait désormais un an et demi que Sylvia et Nourredin sont emprisonnés. Ils leur ont tout pris, tout confisqué. Je veux qu’ils soient ici, auprès de moi. Nous sommes coupés du monde, surveillés, ça changerait quoi pour eux ? Je garantis que nous nous tiendrons à carreau, mais au moins ma femme et mon fils vivraient dans des conditions plus décentes, avec moi ». Si l’ancien chef de l’État est persuadé qu’ils ont subi des traitements dégradants voire des actes de torture, et si une plainte a été déposée à Paris par ses avocats, lesquels ont pu voir leurs clients comme les autorités consulaires d’ailleurs, rien ne l’atteste pour l’instant.

«Nous avons eu une réunion au Palais, une fois, avec ma famille et Brice [Clotaire Oligui Nguema, le président de la transition]. On m’a montré des comptes qui soi-disant m’appartenaient avec Sylvia. Dont un en Afrique du Sud et l’autre en Malaisie, que je n’ai jamais ouverts ! Si on avait autant volé que ce que l’on nous reproche, l’argent du pétrole ou que sais-je, les différents ministres des Finances qui se sont succédé le sauraient ! Tout ce dont on accuse mon épouse est faux, les détournements, les nominations à ma place. Elle n’a jamais eu ce pouvoir, étant absente la plupart du temps. »

Un chihuahua blanc passe discrètement sur la terrasse, longeant le mur noirci par l’humidité de la villa. ABO commande à un majordome indien deux jus de carottes au gingembre, signe qu’une nouvelle grève de la faim n’est pas à l’ordre du jour, contrairement à une rumeur tenace et aux déclarations de ses avocats. Il poursuit : « Cette réunion n’a servi à rien. Depuis, j’ai demandé cinq ou six fois à voir Brice Oligui, sans succès. Ça suffit ! S’il ne les libère pas… »

Comment lui-même est-il traité ? « Mieux, nous explique-t-il. J’ai pu récupérer mes médecins, un orthophoniste. Pascaline veille à améliorer mon quotidien, la nourriture. » De fait, ABO s’exprime de manière plus fluide que lors de notre dernier entretien, en mai 2024 [Ali Bongo Ondimba a été victime d’un AVC en octobre 2018, ndlr]. Son élocution est meilleure, le débit plus rapide. Sur le plan de sa motricité, en revanche, pas d’amélioration. Sa jambe droite est toujours récalcitrante, il se déplace donc avec beaucoup de difficulté, même s’il refuse toute assistance et tient à marcher seul. Outre la lassitude, on sent poindre chez l’ancien président un agacement certain. Et une certaine déconnexion.

Amertume

Il ne reconnaît ni sa défaite électorale, ni la liesse qui s’est emparée des rues de Libreville à l’annonce de sa chute. De même se plaint-il du Parti démocratique gabonais (PDG), dont il fut le chef incontesté. Blaise Louembé, jadis son ministre, porté à la présidence de la formation le 30 janvier ? « Tout cela est contraire aux textes du parti. Moi seul pouvais convoquer ce congrès. J’avais donné mes instructions aux responsables qui sont venus me voir – je continuais à diriger le PDG, avec un adjoint dans un rôle exécutif – ils sont sortis de chez moi, se sont rués au Palais, voilà le résultat… »

Amer, Ali Bongo soupire une nouvelle fois. La nuit tombe progressivement. Nous le quittons pour reprendre le chemin du parking. Il se lève péniblement, nous salue et se dirige vers la maison, emportant ses sudokus. Avec pour seul programme, l’acrimonie et la solitude, en attendant la libération de sa famille…

 

Ref: Jeune Afrique

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