Le cinéaste Jean Pierre Bekolo met en garde le pouvoir camerounais face à la mise en arrestation de Me Alice Nkom, avocate des droits LGBTQ+
ME ALICE NKOM: HOMOSEXUELS ET ATTEINTE À LA SÛRETÉ DE L’ÉTAT AU CAMEROUN.
Entre la mise en garde du préfet du Wouri contre les associations souhaitant soutenir Me Alice Nkom, célèbre avocate des droits LGBTQ+ classée par le New Yorker parmi les personnalités africaines les plus influentes du monde, lors de sa première convocation, le préfet a accusé Me Alice Nkom et ses supporters de « dépravation des mœurs » et promotion de l’homosexualité. Le 31 décembre une nouvelle convocation sans doute plus explosive, prétend qu’elle financerait la guerre dans les régions anglophones (NOSO) et constituerait une menace pour la sûreté de l’État. Cette charge repose sur une plainte d’une organisation inconnue, sans adresse ni numéro de contact, datée du 30 décembre. Fait troublant, Maître Nkom a été convoquée dès le 31 décembre pour une audition fixée au 13 janvier devant une unité de gendarmerie, impliquant la justice militaire. Cette rapidité inhabituelle de ces procédures révèle une anxiété palpable des autorités camerounaises. Cela suggère que, selon elles, les homosexuels représenteraient actuellement la principale menace pour le pays?
Entre les soupçons d’avoir reçu des financements étrangers en cette année électorale, où Paul Biya, à 93 ans, ambitionne une nouvelle réélection pour sept ans, et les accusations de financement de la guerre dans le NOSO après celles de blanchiment, il devient clair que les homosexuels sont désignés comme ceux qui comploteraient pour déstabiliser le Cameroun en 2025.
L’homosexualité au Cameroun oscille entre mythes, fantasmes et réalités. À la veille des indépendances, on évoquait les « Aujoulatistes », un réseau présumé d’élites camerounaises ayant prospéré sous l’influence de Louis-Paul Aujoulat, homme politique français accusé d’avoir introduit l’homosexualité dans les cercles de pouvoir. Ce réseau, s’il a existé, reste aujourd’hui entouré de mystère. Pourtant, l’ancien journaliste devenu homme d’affaires, Amougou Belinga, actuellement emprisonné pour l’assassinat de Martinez Zogo, avait publié le TOP 50, une liste supposée d’homosexuels au sein du gouvernement. Ce coup d’éclat, bien qu’il lui ait valu quelques procès, n’a pas empêché qu’il soit des années après paradoxalement propulsé au sommet.
Dans l’imaginaire populaire, on raconte qu’il est impossible d’obtenir un poste de responsabilité sans passer par une relation homosexuelle avec un supérieur. Les videos de Balthazar sur les réseaux sociaux qui ont passionne les camerounais illustrent le rapport ambivalent des Camerounais à la sexualité en général entre phantasmes et mythes, tiraillés entre religions importées, pratiques traditionnelles africaines, influences sexuelles occidentales et tabous sociaux. Pourtant, le paradoxe demeure : le même gouvernement accusé de promouvoir l’homosexualité persécute aujourd’hui Me Alice Nkom défenseur des droits LGBTQ+.
Cette contradiction souligne qu’au Cameroun, il existe plusieurs homosexualités : celle des élites soumises (les « Aujoulatistes »), celle d’une orientation naturelle comme la fille du président, et celle vue comme une importation occidentale menaçant les valeurs traditionnelles africaines. Récemment, la fille du président a fait son coming out et milite désormais pour la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun. Elle séjourne actuellement dans le pays sans être inquiétée malgré la loi.
Serait-ce l’homosexualité de la fille du président qui a poussé le gouvernement à changer de stratégie contre Me Alice Nkom, laissant tomber l’aspect « homosexuel » comme le préfet du Wouri il y a quelques semaines et plutôt l’associer désormais au complot cotre la sûreté de l’Etat dans la guerre contre les séparatistes anglophones ? Passant donc d’un fait grave [pour les camerounais comme l’homosexualité a un autre la guerre du NOSO… Pour mieux la diaboliser aux yeux de l’opinion? Après des accusations de blanchiment d’argent, cette transition vers des accusations de sûreté d’État pose question : pourquoi Me Alice Nkom est-elle devenue l’ennemie publique numéro un en si peu de temps ? En quoi menace-t-elle la candidature de Paul Biya ?
La célérité avec laquelle le ministre en charge des élections, comme par hasard, qui avait déjà voulu faire taire les camerounais lors des rumeurs de la supposée mort de Paul Biya il y a quelques mois, a engagé ce bras de fer contre Me Alice Nkom interroge. Me Alice Nkom, première femme avocate du Cameroun à seulement 24 ans, est aujourd’hui une figure emblématique de la lutte pour la justice dans le monde. À 80 ans, son engagement reste inchangé : défendre les droits des opprimés. Elle ne représente aucune menace pour le pays, contrairement à ceux qui l’accusent et qui devraient s’attendre dans ce bras de fer à l’effet boomerang sur le plan international sous cette présidence de Trump. Si leur objectif est d’assurer la continuité du régime de Paul Biya jusqu’à 100 ans, dans un Cameroun en déclin, qu’ils sachent qu’il existe des figures intouchables