Dans une tribune, le cinéaste camerounais jean pierre Bekolo affirme que la région du grand nord n’est plus un vivrier électoral comme cela était le cas il y’a des années de cela.
« MAROUA : L’art de partager un pays
Alors que le chef de l’État est annoncé à Maroua pour battre campagne, il faut savoir que, si l’on n’a pas 200 000 francs à débourser pour un billet d’avion, il faut se taper trente-deux heures de bus depuis Yaoundé. Le voyage vers Maroua est cher, long, éprouvant, presque initiatique. Il raconte à lui seul la distance qui sépare le Nord du reste du pays — distance géographique, bien sûr, mais aussi politique, économique et symbolique. Dans ce Cameroun où tout se décide à Yaoundé, le pouvoir se mesure en kilomètres.
À Maroua, tout le monde qui “est quelqu’un” l’est parce qu’il est descendu à Yaoundé. C’est là-bas qu’on fabrique les destins, qu’on valide les carrières, qu’on distribue les privilèges — souvent sans même y habiter. Les enfants du Nord qu’on retrouve à l’avenue Kennedy ou au carrefour de la Poste centrale entrain de mendier en sont le revers : eux aussi sont “descendus à Yaoundé”, pour réussir. La capitale attire, aspire, avale le Nordiste.
Sur les routes défoncées de Maroua, les stations-service de fortune vendent du carburant venu du Nigeria dans des bidons. Le Nord que Yaoundé a oublié est alimenté par le pays voisin. Là-bas, le Cameroun fonctionne sur les marges, sur le contournement, sans que cela ne gêne personne.
À Mokolo, à quelques kilomètres de Maroua, trois maisons font la fierté et la conversation de toute la région : Malachie 1, Malachie 2, Malachie 3. Trois résidences somptueuses construites par le ministre de la Santé, milliardaire autoproclamé sur les réseaux sociaux, sorti de l’ENAM cycle B. Enfant du Nord descendu à Yaoundé, il doit sa réussite à “l’équilibre régional” et au RDPC, le parti au pouvoir.
Pourtant, sur ce qui tient lieu de route entre Mokolo et Mogodé, c’est sur les pierres qu’on lit : “Vive Paul Biya ! Victoire au RDPC !” — graffiti d’un peuple qui, dans sa pauvreté, continue de remercier ceux qui l’ont oublié.
Aujourd’hui, le Nord — ce réservoir électoral historique — devient un champ de bataille politique à la veille du scrutin de dimanche prochain. Deux fils du Nord ont décidé de rompre avec cette logique du Walaande politique, où c’est Yaoundé qui “partage” le pays. Car dans ce Cameroun où tout se partage — postes, budgets, faveurs — le Nord ne veut plus des miettes.
Si “L’art de partager un pays” fait écho à cette tradition du Nord où l’on partage le mari, il faut rappeler que le vrai Walaande ne va jamais sans le Deffande, c’est-à-dire donner à manger à tout le monde. Or, jusqu’ici, les élites nordistes du régime de Paul Biya mangent seules.
Si cette élection marque quelque chose, c’est peut-être la fin d’un Nord fier de voter pour ceux qui l’ont oublié. Cette fois, le Nord n’est plus ce “bétail électoral” qui donne le pouvoir à Yaoundé. Si jusqu’ici le Nord n’était rien sans Yaoundé, désormais il n’y aura plus de pouvoir à Yaoundé sans le Nord.
Ceux de Yaoundé qui vont à Maroua aujourd’hui devraient y aller pour que les enfants du Nord n’aient plus à descendre à Yaoundé. Pour que tous puissent avoir leur part de Malachies, au lieu qu’un seul homme ait tous les Malachie 1, 2, 3… simplement parce qu’il est descendu à Yaoundé et que Yaoundé lui a tout donné. Car tant que cela durera, au Nord il n’y aura que sur les cailloux qu’on pourra écrire : Merci, Monsieur le Président ».