Après la sortie virulente de Bruno Bidjang sur la démission d’Issa Tchiroma Bakary, Hamad Demaissala lui adresse une lettre ouverte :
Lettre ouverte à M. Bruno Bidjang
« Les ruptures courageuses font l’histoire, les fidélités aveugles l’enterrent. »
Thomas Sankara
Monsieur Bruno Bidjang,
Votre sortie virulente à l’encontre du ministre Issa Tchiroma Bakary, empreinte d’un mépris mal dissimulé, n’honore ni la fonction que vous incarnez, ni l’histoire politique que vous prétendez défendre. Entre invectives et insinuations, vous avez préféré l’attaque ad hominem au débat d’idées. La posture à l’argument, et l’indignation facile à la réflexion de fond.
Qualifier un homme d’État de « parasite » relève moins du courage journalistique que d’une rhétorique de cour, celle qui flatte l’ordre établi pour mieux espérer s’y hisser. Mais semble-t-il, vous avez l’insulte facile. Vous lui reprochez d’avoir quitté le régime qu’il a longtemps défendu. Mais faut-il donc, selon vous, mourir avec la main qui vous a nourri, même lorsqu’elle commence à vous étrangler ? Faut-il confondre loyauté et abdication ? S’enfermer dans une fidélité aveugle, même lorsqu’elle conduit à l’immobilisme ?
La politique, la vraie, n’est ni un dogme ni un serment de soumission perpétuelle, mais un espace de responsabilités, d’adaptations, de ruptures quand le contexte et les circonstances l’imposent. Garga Haman Adji, Maurice Kamto, entre autres, ont quitté le gouvernement. Parfois sans justification. Mais toujours avec dignité.
Ce que vous nommez volte-face, d’autres le considèrent comme une prise de conscience. Ce que vous dénoncez comme trahison, d’aucuns y voient un sursaut, peut-être tardif, mais salutaire. L’histoire politique n’est pas une ligne droite ; elle est faite de revirements, d’inflexions, de choix que seule la postérité jugera avec justesse.
D’ailleurs, pour dissiper toute confusion sur la légitimité de ces choix politiques, il est utile de rappeler ces paroles du Président Paul Biya lui-même :
« Ceux qui sont de l’opposition ne sont ni des parias, ni des ennemis. Je les considère, s’ils sont responsables, comme des acteurs à part entière de la vie nationale. »
Oui, le ministre Issa Tchiroma n’a pas toujours eu raison. Il a soutenu, justifié, parfois à l’excès, des positions plus que discutables. Mais il a posé un acte fort en décidant de mettre un terme à son alliance avec le Renouveau. Il a pris ses responsabilités en assumant cette rupture. C’est aussi cela, faire de la politique.
Depuis vos bureaux feutrés de Yaoundé, avec votre regard hors-sol et vos certitudes, il est aisé de discourir sur la stabilité nationale. Mais peut-être serait-il utile, pour une fois, de sortir de votre zone de confort pour aller rencontrer le Cameroun profond.
Je vous adresse donc une invitation solennelle à parcourir le Septentrion avec moi. Nous prendrons la route ensemble : Ngaoundéré–Garoua, Maroua–Kousséri, puis Magada–Yagoua. Je vous préviens qu’il faut avoir un physique à toute épreuve, un moral d’acier et un estomac solide.
Nous traverserons des villages où l’eau est une denrée rare. Où un enfant sur deux ne va pas à l’école. Où des femmes meurent en couches, faute de centre de santé à moins de 40 kilomètres. Où l’indice de développement humain plafonne à 0,289 dans l’Extrême-Nord, comparable à celui de la Somalie. Oui, M. Bidjang, comme en Somalie.
Vous y verrez des familles victimes des inondations vivre sous des tentes précaires, dans l’indignité totale. Vous leur direz, les yeux dans les yeux, que le Cameroun avance « avec méthode ». Vous expliquerez aux 3,24 millions d’enfants non scolarisés du Septentrion que la « vision » gouvernementale est intacte. Vous répéterez aux 70 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté que d’autres nations envient leur situation. Peut-être alors comprendrez-vous qu’une grogne profonde, trop longtemps contenue, ne peut être indéfiniment étouffée par des intimidations et des procès d’intention.
En tant que journaliste, vous auriez pu ouvrir un débat, nourrir la réflexion, susciter une lecture plurielle d’un acte politique fort qui témoigne de notre vitalité démocratique. Mais vous avez choisi la caricature et l’insulte.
Souvenez-vous d’une chose : l’histoire d’un peuple ne se construit jamais dans le confort des certitudes, mais dans le tumulte des ruptures nécessaires. Ce sont les voix dissonantes qui, un jour, deviennent les voix dominantes. Ce sont les pas courageux qui, souvent seuls au départ, tracent les sentiers de l’avenir.
Le ministre Issa Tchiroma Bakary a posé un acte. Vous, vous avez prononcé un verdict. Le peuple, lui, observe, écoute et analyse sans complaisance et le moment venu tranchera en toute souveraineté dans les urnes.
FAYÇAL Hamadou Demaissala
Un citoyen vigilant