Nous avons fait quelque chose que les pays africains n’arrivaient pas à faire

Le Cameroun accueille jusqu’au 6 février la Coupe d’Afrique des nations. Roger Milla, légende des Lions indomptables, a ouvert la boîte à souvenirs pour France 24. Il est revenu sur les faits marquants de sa longue carrière et a livré sa vision du football africain.

Entretien.

Cent deux sélections, 36 buts, deux Coupe d’Afrique et un quart de finale de Coupe du monde… Le palmarès de Roger Milla avec le Cameroun le place au Panthéon des Lions indomptables, aux côtés de Samuel Eto’o, Rigobert Song et autres Samuel Mbappé Léppé.
 
Alors que la CAN au Cameroun bat son plein, le « Vieux Lion », comme il est parfois surnommé, est revenu pour France 24 sur sa longue carrière. Après avoir abordé les polémiques concernant la Coupe d’Afrique en cours, il a également ouvert la boîte à souvenirs de sa riche carrière. À bientôt 70 ans, il n’a rien perdu de son dynamisme et de sa fougue, qui ont traumatisé une génération de défenseurs. Et n’a pas de regrets, pas même celui de ne pas avoir disputé une CAN à domicile, puisque le Cameroun n’a jamais organisé la compétition durant sa pourtant longue carrière de joueur.
Roger Milla sur les polémiques qui ont émaillé la CAN 
 
« On ne change pas son destin. Dieu avait décidé que je gagnerais mes CAN à l’extérieur. Je ne vais pas regretter. Au contraire, maintenant, nous sommes là pour encourager nos petits frères, voire nos fils pour certains », sourit Roger Milla, philosophe.
 
Les Lions indomptables, « des joueurs fougueux »
 
Roger Milla a disputé son premier match avec le Cameroun en 1973. Un an auparavant, un référendum constitutionnel donnait naissance à la République unie du Cameroun, et le pays accueillait sa première CAN. C’est à ce moment-là que la sélection camerounaise prend le surnom de « Lions indomptables » à l’initiative du ministre des Sports de l’époque.
« Je pense que cela représente le caractère du Cameroun. Depuis 1972, les joueurs qui ont joué pour les Lions indomptables, les Rigobert Song et autres, ce sont des joueurs fougueux avec la hargne, la niaque… Sans vouloir faire de mal à qui que ce soit », affirme Roger Milla, qui concède tout de même qu’une petite attaque physique sur l’adversaire en début de match a permis plus d’une fois à son équipe de s’imposer.
À l’époque, le Cameroun n’est pas encore une puissance continentale du football. Il n’a encore remporté aucun titre, ni même disputé de Coupe du Monde. Les Lions ne font pas encore peur.
 
« Nous avions déjà une très bonne équipe. Mbappé Léppé, Mbété Isaac et j’en passe… Les joueurs étaient présents techniquement, physiquement, nous étions déjà forts mais il nous manquait cette envie de gagner des trophées », se remémore-t-il.
 
Trois finales et deux Coupes d’Afrique en quatre ans
 
Les années 1980 vont tout changer pour le Cameroun. Les Lions indomptables, avec Roger Milla en chef de file, enchaînent les performances. En 1982, ils se qualifient pour la première fois pour la Coupe du monde. Puis ils gagnent leur première Coupe d’Afrique des nations en 1984, vont en finale de l’édition suivante en 1986, avant de soulever une deuxième fois le trophée en 1988. Un déclic que le « Vieux Lion » explique par l’extraordinaire solidarité de l’équipe : « Le groupe était soudé. Nous en avions marre de perdre. Nous avons donc décidé de mettre les bouchées doubles pour offrir des victoires à nos compatriotes », se rappelle Roger Milla, qui résume l’état d’esprit à une anecdote. « Dans beaucoup de pays d’Afrique, lorsque les joueurs qui évoluaient en Europe arrivaient dans leur pays, ils étaient logés dans les hôtels et ceux ‘du terroir’ étaient logés ailleurs. Moi, j’ai dit : ‘Je dors avec vous, je travaille avec vous et ensemble, nous allons gagner.’ Ça a marqué l’entraîneur et tous mes compatriotes. »
 
Du haut de ses 69 ans, pas question pour l’ancienne star du Cameroun de faire le tri dans tous les succès de sa carrière. « Pour un joueur, toutes les victoires sont belles », sourit-il. Mais, en insistant, il concède tout de même que la Coupe du monde 1990 fut la compétition qui l’a le plus marqué. Le Cameroun a d’ailleurs laissé son empreinte dans l’histoire du football cette année-là, quand Roger Milla emmène les siens jusqu’en quarts de finale. Une première pour une équipe africaine.
 
« Le match contre la Roumanie, c’était quelque chose d’extraordinaire [lors du deuxième match de groupe du Mondial-1990, le Cameroun bat les Roumains 2 buts à 1 pour se qualifier au tour suivant, NDLR]. Nous venions de battre l’Argentine et il fallait gagner ce match pour se qualifier. Quand vous voyez les deux beaux buts que j’ai marqués, ça prouve qu’on avait du punch pour aller le plus loin possible », note Roger Milla.
Mondial-1990 : un message du football africain
 
« Nous avons fait quelque chose que les pays africains n’arrivaient pas à faire. Certains ont connu des déconvenues, comme le Zaïre [désormais la RD Congo, qui avait encaissé 14 buts en trois matches au premier tour du Mondial en 1974, NDLR]. Toute l’Afrique était un peu tendue. Nous, on s’est dit qu’il fallait mettre une équipe en place, être soudés et se battre sur le terrain pour que nous puissions effacer cet épisode et essayer d’amener l’Afrique le plus loin possible. Je pense que c’était un message fort. Il aurait pu être plus fort encore si nous n’avions pas déconné contre l’Angleterre [en quart de finale, perdu 3-2 après prolongation, NLDR] », en rigole aujourd’hui Roger Milla. Son Makossa, le pas de danse avec lequel il célébrait ses buts, est entré dans la légende lors de ce Mondial-90.
 
Les victoires ne sont pas les seuls souvenirs qui ont marqué le « Vieux Lion ». La défaite en finale de la CAN face à l’Égypte au Caire en 1986 en fait partie, et il se rappelle un contexte tendu, avec un attentat la veille et l’agitation politique dans le pays : « Je connaissais bien l’arbitre et il m’a demandé plusieurs fois d’éviter de marquer un but et que c’était mieux que ça aille jusqu’aux tirs au buts. On a donc un peu baissé le pied en deuxième mi-temps. On a ensuite perdu aux penaltys. Tout le monde était content comme ça ! Et je me souviens des supporters égyptiens qui nous ont fait l’honneur de nous raccompagner jusqu’à l’hôtel. C’était très fort », raconte la légende camerounaise.
Deux ans plus tard, en 1988, Roger Milla, alors âgé de 36 ans, annonce sa (première) retraite, célébrée par trois immenses jubilés, dont le dernier organisé au stade Ahmadou-Ahidjo de Yaoundé, voit 120 000 personnes assister à ses adieux au football. Un match où Roger Milla, entouré de tous ses amis joueurs venus au Cameroun pour l’occasion, avait montré qu’il pouvait encore largement tenir la route. « Le jubilé, pour moi, c’était la consécration de tout le travail abattu sur tous les terrains d’Afrique. Mes amis ont voulu me célébrer et ça avait été une belle fête », se souvient-il.
« La Coupe d’Afrique est notre Coupe du monde »
 
Mais il fait un come-back gagnant en 1990, avant de refaire le coup en 1994, avec moins de succès mais un record du plus vieux joueur à marquer au Mondial, avant de définitivement raccrocher les crampons. D’abord éphémère président d’honneur de la Fédération de football camerounaise (Fecafoot, entre 2008 et 2012), il devient en 2000 ambassadeur itinérant pour le Cameroun, nommé par le président Paul Biya en personne. Toujours proche du monde du football, il continue de porter son regard sur les jeunes générations. Il estime d’ailleurs que la question d’un successeur à George Weah, seul Ballon d’or d’origine africaine à ce jour, n’a pas lieu d’être : « Eto’o aurait pu en gagner un, Salah aurait pu en gagner un, Mané aurait pu en gagner un… Moi, je leur dis toujours que l’important, ce n’est pas de gagner le Ballon d’or. L’important, c’est son pays. Beaucoup ont tendance à oublier qu’ils ont une nation et que cette nation-là a besoin de gagner des trophées », note l’ancien attaquant.
 
Quant à une victoire africaine au Mondial, il préfère ne pas s’emballer : « Ça va être difficile pour un pays africain de gagner une Coupe du monde, mais prenons notre Coupe d’Afrique comme notre Coupe du monde et amusons-nous avec. Le Mondial, c’est très difficile, avec de grands pays. Ne pensons pas que nous allons tout le temps rivaliser avec eux. Pendant ces trente dernières années, ça aurait pu arriver. Si on était allés en demi-finale du Mondial-90, on aurait soulevé le trophée », se prend à rêver Roger Milla.
 
 
France 24
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