Kareyce Fotso s’adresse à ses frères camerounais

Dans une lettre, l’artiste musicienne sanglote et déplore  les casses et les pillages  commis pendant les violences post électorales.

« À mes frères Camerounais

J’ai vu les images
J’ai vu le sang de nos enfants, de nos sœurs, de nos frères, tombés à bout portant.
Oui, je pleure.
Je tremble, me sentant impuissante.

Je ne peux juger aucun de vous qui, chacun à sa manière, extériorise sa souffrance, sa misère.
C’est comme ceux qui prennent le désert ou la Méditerranée pour échapper à des années d’oppression
quand on est déjà mort à l’intérieur, on n’a plus peur de mourir une seconde fois.

La seule chose qui me désole profondément, ce sont les casses et les pillages. Mes frères ne cassez pas
Ce chaos aurait pu être évité si, en face, il y avait eu un peu d’humanité, un peu d’écoute, un peu de considération.
Et pendant que le peuple saigne, certains rient.
Ils auraient pu se cacher pour célébrer l’indécence, mais non : l’objectif est d’enfoncer le couteau dans la plaie, de faire davantage mal.

Comme on dit chez nous, « Assia la famille ».
Je vois les moqueries, les injures, les piques lancées faites en des gilets pare-balles.
Cette cruauté déguisée en ironie fait encore plus mal que les armes je sais.
C’est une fille née dans un quartier de Yaoundé qui écrit ces mots.

Moi qui vis chaque jour la réalité de nos frères et sœurs, leurs colères, leurs peines, leurs espoirs étouffés.
Certains me prêtent une résidence à l’étranger et pourtant, j’ai voté à Yaoundé, là où je suis née, là où je vis.

Mes frères, comme je vous comprends.
Votre souffrance est la mienne.
Vos inquiétudes sont les miennes.
Votre colère est la mienne.

Aux hommes en tenue : votre serment, c’est la protection du peuple, la protection de la nation.
S’il vous plaît, ne tirez pas sur vos frères.
Ils ne savent plus à quel saint se vouer.
Ils sont désespérés.
C’est leur façon de pleurer.
Encadrez-les, mais ne les tuez pas.

Papa Paul Biya,
Comment peut-on dire être le père de la nation et laisser ses enfants se suicider à cause d’un fauteuil ?
Vous avez connu les saveurs du pouvoir, la gloire, les honneurs.
Après quarante-trois ans, que recherchez-vous encore ?
Quel honneur, quelle fortune, quel pouvoir, quelle louange n’avez-vous pas déjà reçus ?
Qu’est-ce qui vaut encore la vie de vos enfants ? Petits enfants, arrières petits enfants , arrières arrières petits enfants ?

Et quand vous vous couchez le soir, qu’est-ce que vous vous dites ?
Peut-être que vous saurez m’éclairer, car cela dépasse mon entendement.
Que restera-t-il écrit dans nos livres d’histoire lorsqu’il faudra parler de vous ?
Pourquoi nous infligez-vous cette punition ?
Qu’avons-nous fait pour mériter cela ?

Chaque jeune qui se bat, chaque cri, c’est pour sa propre survie, pour sa dignité.
C’est comme s’accrocher sur une dernière boué de sauvetage afin d’atteindre la rive

À vous, mes frères, je termine ces mots noyés dans mes larmes.
Je sais que vous êtes déçus, affligés, découragés pour certains.
J’aimerais tant pouvoir vous apporter la solution, le réconfort, un sourire, une lueur d’espoir.
Je m’en veux parfois de ne pas pouvoir vous être utile, de ne pas savoir calmer vos blessures.

Mais laissez-moi vous dire ceci :
Chaque peuple a connu des nuits si sombres qu’on croyait que le soleil ne se lèverait plus.
Nos ancêtres ont connu l’esclavage et l’ont brisé.
Ils ont connu la colonisation et l’ont renversée.
Ils ont connu le mépris et l’ont transformé en fierté.
Eux aussi ont pleuré, eux aussi ont tremblé, mais ils n’ont pas cédé à la peur.
Ils ont compris que le courage, c’est la dernière larme qu’on essuie avant de se relever.

Regardez l’histoire :
Les Sud-Africains se sont battus ving-sept ans derrière les barreaux avec Mandela avant de voir renaître la liberté.
Les Haïtiens ont arraché leur indépendance alors que personne ne croyait en eux.

Les peuples d’Amérique ont marché, bâillonnés, battus, avant que Martin Luther King puisse dire : « I have a dream. »
Et ce rêve, deux siècles plus tard, continue d’éclairer le monde.
Alors, mes frères, mes sœurs, gardons la flamme.
Notre combat n’est pas vain.

Même dans la boue, une graine sait qu’un jour elle deviendra arbre.
Même dans le sang, la vie cherche toujours son chemin.
Et même dans le silence imposé, la vérité finit toujours par parler.
Un jour, on écrira dans les livres d’histoire que le peuple camerounais a pleuré, mais qu’il s’est levé.
Qu’il a refusé de mourir dans le mensonge.

Et qu’au milieu des ruines, il a bâti un pays juste et humain.
Je vous aime mes frères et sœurs.
Et tant qu’il me restera un souffle, ce souffle portera vos noms

Motokwa »

 

 

 

 

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One Response

  1. C’est le message le plus sage que j’ai lu en 2025. Tu es une légende vivante et une grande dame Kareyce. Vraiment je n’ai plus rien a dire. Merci infiniment pour ce message.

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