Mathieu Njassep, aujourd’hui âgé de 86 ans, est la mémoire vivante d’une période tumultueuse dans l’histoire du Cameroun.
Dernier témoin d’une époque marquée par la résistance contre le colonialisme français et le régime d’Ahmadou Ahidjo, il a été surnommé « Ben Bella », en hommage au premier président algérien. Sa vie a été consacré à la lutte pour l’indépendance, aux côtés de héros comme Ruben Um Nyobè, dont les luttes sous l’UPC (Union des populations du Cameroun) ont profondément marqué le pays.
Plongé dans les événements des années 1950, Mathieu Njassep se remémore les émeutes sanglantes de 1955 qui ont conduit à l’interdiction de l’UPC et à la répression brutale des nationalistes. Ces événements ont créé un terreau fertile pour la résistance, alors que de jeunes hommes comme lui, orphelins et animés par un ardent désir de liberté, se sont regroupés pour combattre. « On nous envoyait dans les villages voisins avec des lettres qu’il fallait remettre en main propre », raconte-t-il, au journal Le Monde.
Avec l’indépendance du Cameroun proclamée le 1er janvier 1960, Mathieu Njassep a rejoint l’Armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), poursuivant sa lutte contre un nouveau pouvoir qu’il percevait comme une continuité de l’oppression coloniale. Malgré les horreurs de la guerre et l’utilisation du napalm par les colonisateurs, Njassep et ses camarades ont bravé les bombardements, se réfugiant dans les forêts, se nourrissant de fruits sauvages et des sèves de lianes pour survivre.
L’arrestation et l’exécution de chefs emblématiques de l’UPC, comme Félix-Roland Moumié, n’ont fait qu’attiser la colère et la détermination des combattants. En devenant le secrétaire particulier d’Ernest Ouandié, Mathieu Njassep s’est retrouvé au cœur d’une lutte acharnée, mais la traque du régime a fini par mener à son arrestation en 1970, suivie de tortures inhumaines à la Brigade mobile mixte de Yaoundé. Sa peine de prison à vie a été commuée en déportation dans le nord du pays, d’où il ne sortira qu’en 1985.
Aujourd’hui, Mathieu Njassep vit à Douala, ayant consacré sa vie à des métiers modestes. Ce n’est qu’en 1991 que ces figures emblématiques furent reconnues « héros nationaux ». Mais pour Mathieu Njassep et ses semblables, les années de souffrance et de sacrifice restent méconnues, leur contribution à l’indépendance du Cameroun étant largement oubliée.
À l’heure où la mémoire de ces luttes se doit d’être ravivée, Mathieu Njassep demeure le symbole d’un héroïsme silencieux, un ardent défenseur de l’histoire cachée d’un pays qui peine encore à se réconcilier avec son passé. Chaque récit qu’il partage offre non seulement un hommage aux disparus, mais aussi un appel à reconnaître le prix de la liberté acquise, pour que les sacrifices ne soient pas vains. Sa vie est un témoignage vivant, une leçon d’engagement que les générations actuelles et futures devraient apprendre à chérir.