Patrick Rifoé : «Je ne suis donc pas Longue Longue …»

Dans une tribune volumineuse postée sur internet, le Dr Patrick Rifoé se prononce sur l’affaire Longue Longue, tout en refusant de condamner les sévices corporels dont avait été victime l’artiste engagé en 2019 dans les locaux de la division de la sécurité militaire du Littoral.

Depuis quelques heures, circule une vidéo de l’artiste Longkana Simon, dans ce qui ressemble à un domicile privé, subissant des sévices corporels d’individus qui appartiennent selon toute vraisemblance à une antenne de la Sécurité Militaire.

La scène, filmée se serait déroulée en 2019, et pour des raisons que l’opinion publique ignore, apparait aujourd’hui.

Face à l’intransitivité des images, les camerounais sont mis en demeure de suspendre leurs jugements pour faire parler leurs émotions. Il faut réprouver la torture/la scène -mais sont-elles isomorphes ?- faute de quoi, on manquerait d’humanité.

En visionnant cette scène, je me suis souvenu qu’il y a 25 ans, jeune bachelier, je tenais un petit commerce sur le bord de la route à Elig Edzoa. Nous habitions alors une petite masure au Carrefour Safca, du côté où se trouve l’usine. Un soir, ma maman me demande de l’accompagner dit-elle pour rencontrer un oncle à la Direction de la Police judiciaire à Elig Essono. Il est 18 heures passés lorsque nous nous engouffrons dans un taxi qui cinq minute plus tard, gare devant un bâtiment qui ne paye pas de mine.

Dès que nous entrons dans le bâtiment, la mine de ma maman change. Elle me demande où j’ai mis ses 500 000 Fcfa. Face à mon incrédulité, elle me rappelle impassible que je finirai, bien par dire, où se trouve « son argent ».

Sur ces entrefaites, un monsieur en tenue de policier la reconnait et vient vers elle. Elle lui certifie que je suis celui dont elle lui a parlé précédemment.

Nous sommes conduits au fond à droite et là, elle sort, un carnet de cotisation dans lequel, j’ai mis 120 000, l’épargne correspondant à un mois de mon activité. Un échange qui avait visiblement commencé entre elle et le monsieur se poursuit. La découverte de ce carnet, que je gardais sous mon lit, l’aurai convaincu de ce que j’ai probablement pris dans sa chambre 500 000, dont une partie se trouve sur le carnet.

On me demande ce que j’ai fait du reste. « Il a probablement mangé ça avec ses amis ». Comme je ne suis pas très coopératif, je suis laissé là par ma mère qui prend rdv avec le monsieur pour le matin suivant 6 heures. Le monsieur me promet que dans un moment, je lui dirai tout et répondrai à toutes les questions qu’il me posera.

Quelques heures plus tard, autour de 22 heures, notre monsieur revient. Manifestement les patrons ont quitté les lieux et plus rien ne s’oppose au « traitement que je dois recevoir ».

Je suis menotté des pieds et des mains, ensuite un baton est passé entre les 02 paires de menottes. Le monsieur et un de ses collègues me suspendent entre 02 chaises.Pour ceux qui ont été dans les services de sécurité à une certaine époque, c’est la technique de la balancoire.

Dans cette position très inconfortable, je l’avoue, je suis fouetté à la machette de pratiquement 22 heures à 05 heures du matin. On me verse de l’eau sur la plante des pieds de temps à autre. Vers 05 heures, je suis descendu de la balancoire, et ordre m’est donné de sauter, exactement comme à Longue Longue. « Cela doit permettre au sang qui s’est accumulé de recommencer à circuler ».

Malgré mes sauts, repetés de mauvaise grace, je fus dans l’incapacité de marcher pour rentrer chez moi. Je fus donc transporter dans un porte-tout.

Lorsque l’on a probablement vécu pire que ce qu’a vécu Longue Longue, ses sévices ne semblent pas durer très longtemps d’après ce que laissent entendre la vidéo, on a une raison personnelle, supplémentaire de condamner énergiquement le traitement qu’il a subi. Mais, cette tentation qui traduit l’emprise des émotions sur notre raison, je n’y cèderai pas. Je ne suis donc pas Longue Longue et voici pourquoi.

Condamner toutes les violences sur artistes ou n’en condamner aucune

Le Cameroun sort à peine d’un moment particulier de son histoire, né de la contestation du résultat de l’élection présidentielle d’octobre 2018. Pendant plusieurs années de nombreux artistes ont été victimes de terrorisme culturel en Occident, simplement pour n’avoir pas pris leurs distances vis-à-vis de Paul Biya ou pour n’avoir pas soutenu Maurice Kamto. Des activistes dont certains peinent aujourd’hui a caché leur proximité avec le MRC ont assumé le sabotage de leurs spectacles.

Pendant que nous dénoncions une inacceptable atteinte à la liberté de penser, ceux qui, aujourd’hui exigent à tout le monde de condamner ce qu’a subi Longue Longue avaient-ils condamné ces sévices ? Bien sûr que non, bien au contraire, ils expliquaient pince-sans-rire que le terrorisme culturel est indispensable pour contraindre ceux qui ne partagent pas leurs vues à réviser leurs positions. Mais au nom de quoi, si ce n’est, un deux poids deux mesures, condamner ce qu’a subi Longue Longue alors qu’on a fait preuve de mansuétude à l’endroit du terrorisme culturel exercé par la galaxie Mrc à l’endroit des artistes camerounais pendant la période ou Longkana Simon a été entre les mains de la Sémil ?

 

Soit nous condamnons toutes les violences à artistes, d’où qu’elles viennent, soit nous n’en condamnons aucune et je préfère ne pas m’associer à ceux qui choisissent leurs combats et activent leur fonction de dénonciation suivant non pas des principes auxquels s’ordonnent leurs position, mais en rapport avec le pôle politique auxquels ils appartiennent.

Je ne ferais donc pas chorus avec Kamto, le MRC et l’ensemble des camerounais qui hier, trouvaient acceptable qu’on terrorise certains artistes, mais réprouvent aujourd’hui les sévices subis par Longue Longue. La condamnation de la violence à artiste doit être globale ou alors ne pas être.

Pire, ceux qui s’indignent aujourd’hui des violences subies par Longue Longue sont les chantres de l’ambazonie dont ils louent les exactions depuis plusieurs années déjà. Il y en a, membre du MRC qui ont publiquement considéré que Field Marshall était leur père. Ils n’ont jamais eu un mot pour Florence Ayafor, mais ils se découvrent des élans d’humanité pour Longue Longue. Ce pharisaisme d’apparence ne doit tromper personne. Ils n’ont pas plus de principe hier qu’aujourd’hui.

Ne pas imputer l’acte de quelques brebis galeuses à l’institution militaire, voire au Gouvernement

Dès la publication de la vidéo des sévices subis par Longue Longue, une certaine opposition, Kamto Maurice bille en tête a condamné « un barbarisme d’Etat », pardon pour le barbarisme, mais c’est ainsi que son texte était formulé avant qu’il ne le modifie, suggérant par là, que les actes subis par Longue Longue s’inscrivent dans un cadre institutionnel, jetant volontairement, l’opprobre sur toutes les forces de défense et de sécurité et enjoignant les soutiens du gouvernement de condamner sans délai « cette barbarie ». Il s’agit donc pour ceux-là de démontrer que les sévices subis par Longue Longue ne sont pas un acte isolé, celui de brebis galeuses qui n’ont reçu aucun ordre, mais qu’elles s’inscrivent dans un chaîne qui remonte jusqu’au Gouvernement. Il ne m’est pas possible de m’associer à pareilles prise de position pour différentes raisons, la première étant que mon expérience personnelle à la DPJ m’a fait comprendre que l’usage de sévices se fait généralement à l’insu de la hiérarchie, raison pour laquelle j’ai été supplicié entre 22 heures et 05 heures. C’est probablement ce qui explique le décor dans lequel se trouve Longue Longue, un domicile et non les bureaux de la Semil. Il est donc extrêmement difficile de démontrer que la hiérarchie avait connaissance de ces actes –il faut cependant attendre les résultats de l’enquête pour se faire une idée exacte-qu’elle les ait ordonnés ou couverts. Et, quand bien même cela serait démontré, il s’agit ici, d’une antenne Semil, peut-on incriminer toutes nos Forces de Défense et de Sécurité ?

Si être Longue Longue, c’est procéder par amalgame, pour accuser indistinctement toute l’institution sécuritaire, alors, je ne suis pas Longue Longue.

Si être Longue Longue, c’est se donner le droit d’accuser sans aucun élément le Gouvernement, alors, je ne suis pas Longue Longue.

Il convient donc de ramener ce qui s’est passé à sa juste proportion, c’est-à dire une action manifestement illégale, de brebis galeuses qui ne saurait d’aucune façon entaché le blason de nos Forces de Défense et de Sécurité dont le travail, le dévouement jusqu’au sacrifice suprême, sur différents fronts garantit la sécurité commune.

Ni pharisaïsme, ni idéalisme

On ne peut pas faire le procès de calculs politiques à tous les Camerounais qui ont eu un haut le cœur en entendant les cris de Longue Longue. Ils ont donc à bon droit condamné ces sévices. La question se pose cependant de savoir si ladite condamnation est hypocrite et participe de l’expression d’une spirale de la clameur sociale qui se paie de bons sentiments. En effet, nous sommes nombreux à condamner publiquement ce que nous chérissons en secret. Cette bipolarité n’est qu’apparente car en réalité, la condamnation publique participe de l’expression d’une face socialement désirée. Nous exprimons, non pas ce que nous pensons, mais ce que nous pensons que les autres attendent que nous pensions dans les circonstances présentes.

C’est probablement ce qui explique que nombre d’individus qui aujourd’hui condamnent les violences subies par Longue Longue, se livreront demain à la violence la plus crasse sur leurs congénères, oubliant que si l’on condamne par principe la violence, aucune circonstance ne doit nous y contraindre. Il apparait donc curieux dans un pays où la justice populaire, qui se fait en dehors de toute regle procédurale est devenue un sport collectif, il est donc curieux que dans ce pays-là, ceux qui souvent se sont livrés à la justice populaire condamnent la violence émanant des autres, affranchies de toutes les règles.

Enfin, ce dont Longue Longue a été victime pose la question de l’usage de la torture par les Forces de Défense et de sécurité. Faut-il y mettre fin totalement ou limiter son usage à des cas limites qui la légitiment ?

Pour ma part, je considère que l’on ne peut pas proscrire de manière totale l’usage de la torture dans les rangs des Forces de défense et de Sécurité car on amputerait alors nos éléments d’un instrument permettant d’obtenir de précieuses informations. Sur des affaires de terrorisme, et même de grand banditisme, un usage contrôlé de la torture devrait être possible. Il va de soi que l’affaire Longue Longue n’entre pas dans ces catégories. Cet usage doit être strictement encadré et n’être pas autorisé dans les affaires de droit commun.

En attendant les conclusions de l’enquête prescrite par le Mindef et dont le résultat sera rendu public sous 72, je n’assisterai au concert des condamnations hypocrites qui ne sont lestees d’aucun principe.

Les auteurs des sévices sur Longue Longue doivent être retrouvés et punis avec sévérité sans que le spectacle éhonté auquel on assiste ne se poursuive.

 

— Dr Patrick Rifoé

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