Considéré comme l’un des plus talentueux de sa génération, sa carrière a tourné court. C’est désormais un modèle de ce qu’il ne faut pas faire, pour les jeunes footballeurs. Interview.
Après Manchester, je suis parti à Aston Villa où je suis resté trois ans (2004-2007). Les six derniers mois, j’ai été prêté à Burnley en Championship (D2). Ensuite, j’ai joué une saison au Qatar Sport Club (2007-2008). En 2008, je suis parti au Danemark, à Odense. J’y suis resté quatre saisons (2008-2012). Là-bas, je me suis vraiment épanoui. Tous les ans, on jouait la Ligue Europa. J’ai ensuite rejoint l’Hapoël Tel-Aviv (2012-2013) où j’évoluais avec Apoula Edel. À l’été 2013, j’ai signé au Partizan Belgrade, mais au bout de quelques mois, on n’était plus payé. J’ai donc cassé mon contrat et je suis parti en février 2014 à St-Mirren, en Écosse. J’y suis resté jusqu’en juin. Par la suite, j’ai participé à la première saison de L’Indian Super League avec Chennaï. J’y ai retrouvé Mikaël Silvestre, que j’avais connu à Manchester United, Bernard Mendy, Alessandro Nesta, Elano, Gennaro Bracigliano et Marco Matterazzi qui était entraîneur-joueur. Enfin, j’ai rejoint l’Indonésie en janvier 2015.
Entre l’Indonésie et la période de chômage, la situation n’a-t-elle pas été trop compliquée à gérer ?
Je me sentais encore capable de tenir le rythme physiquement. En Indonésie, il a fallu que je travaille tous les jours pour m’entretenir. Et ce n’est pas facile de s’entraîner seul avec un préparateur physique. Il faut doublement de la motivation pour pouvoir rester dans le rythme. Après, ç’a été plus simple. Je suis revenu sur Nantes quelques semaines pour profiter de mes enfants qui vivent là-bas. Puis je suis parti au Cameroun pour y retrouver ma famille. Mon père étant très malade, je suis resté quelques mois à son chevet. En même temps, je m’entraînais de nouveau avec un préparateur physique et avec des clubs locaux pour garder la forme. J’ai eu des propositions en Jordanie, en D2 chinoise et en Russie, mais je ne les ai pas trouvées assez sérieuses. J’ai déjà trop voyagé, je voulais me rapprocher de mes enfants, me concentrer sur mes dernières années de football et ma reconversion.
Quelles sont vos relations avec le FC Nantes ?
J’ai gardé pas mal d’amis au club. Récemment, j’ai été voir Loïc Amisse, qui est entraîneur-adjoint de Michel Der Zakarian. C’est lui et Serge Le Dizet qui m’ont recruté alors que je n’avais que 17 ans. Dès que je reviens, je passe les voir à la Jonelière. Le FC Nantes, c’est comme ma deuxième famille. C’est ici que tout a commencé et j’ai gardé une très bonne image au club. Tout le monde se souvient de moi, les supporters me saluent régulièrement. C’est une fierté. Et comme je passe mes diplômes d’entraîneur, peut-être qu’un jour je reviendrai en tant qu’éducateur. J’aimerais beaucoup.
Vous avez joué dans neuf pays différents durant votre carrière. Qu’est-ce que ça vous a apporté de voyager autant ?
Sur le plan sportif, j’ai gagné en expérience. Mais je pense que ç’a surtout été bénéfique humainement. J’ai rencontré beaucoup de gens, je parle plusieurs langues et je suis capable de m’intégrer à différentes cultures. Ça m’a beaucoup forgé. Et grâce à ce que j’ai vécu, j’ai beaucoup de choses à transmettre aux jeunes qui débutent dans le foot et qui aspirent à devenir professionnel.
Où vous êtes-vous senti le meilleur sur le plan footballistique ?
Même si à Manchester, j’ai beaucoup gagné en expérience en jouant aux côtés de joueurs comme Ryan Giggs, Paul Scholes ou Rio Ferdinand avec qui j’ai gardé de bons contacts, j’ai atteint ma plénitude au Danemark. À Odense, j’ai retrouvé un club qui avait beaucoup de similitudes avec le FC Nantes. C’est un club familial. Il y avait de nombreux jeunes. J’étais parmi les plus expérimentés de l’effectif. Le Championnat danois ressemble à la Bundesliga. C’est une compétition très physique avec beaucoup de bonnes équipes. Durant les quatre saisons, j’étais titulaire indiscutable (154 matches joués) et j’ai été élu deuxième meilleur joueur du Championnat danois en 2010. C’était vraiment grandiose. J’ai gardé d’excellents contacts là-bas et j’y retourne souvent.
N’avez-vous pas l’impression de vous êtes grillé en rejoignant Manchester United en 2003, à 22 ans ?
Si c’était à refaire, je serais parti de Nantes quelques années plus tard. Mais à l’époque, je n’étais pas très bien conseillé. En 2010, au Danemark, j’ai de nouveau rencontré Ferguson quand il est venu remettre le trophée du meilleur joueur. En me remettant le mien, il m’a dit : « j’aurais aimé t’avoir à cet âge-là ». J’avais 29 ans. Il a senti que j’étais plus mur, plus posé, plus équilibré. Je ne regrette pas ce choix mais j’aurais pu faire mieux si j’avais été bien entouré quand j’étais jeune.
Que reprochez-vous à cet entourage ?
Les gens qui me conseillaient ne m’ont pas aidé. Ils m’ont influencé. À 20 ans, on n’est pas préparé à une telle vie. Il ne suffit pas de remonter trop loin pour s’en rendre compte. Regardez Serge Aurier. Si son ami avait été conscient, je ne pense pas qu’ils auraient fait ces bêtises. Car les conneries, elles partent souvent de ces gens-là.
Eric Djemba et Sir Alex Fergusson
Gardez-vous de bons souvenirs d’Alex Ferguson ?
Bien sûr. C’est quelqu’un qui m’a pris sous son aile. Il est très proche de ses joueurs. C’est un papa poule. Il est venu me chercher à Nantes. Il a envoyé des scouts pour me superviser puis il est venu à deux reprises à La Beaujoire pour me voir jouer. Il a changé ma vie de footballeur, il a changé ma vie dans ce monde. Il a fait en sorte que je sois connu et reconnu en signant à Manchester. Me faire partir de Nantes pour rejoindre le plus grand club du monde, je ne le remercierai jamais assez.
À Manchester, on vous présentait pourtant comme le successeur de Roy Keane. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?
Remplacer Roy Keane, qui a plus de 400 matches en Premier League et un palmarès long comme le bras, ce n’est pas une mince affaire. Avec Keane, Veron, Scholes, Butt, Neville, que des joueurs expérimentés, la concurrence était rude. Moi qui débarquais avec seulement cinquante matches de Ligue 1, j’étais un peu perdu. Mais j’ai quand même joué une quarantaine de matches au sein de cette équipe mythique. Ça reste une superbe expérience. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai porté ce maillot et j’en suis fier.
Eric Djemba aux couleurs des Lions Indomptables
Finalement, vous n’étiez peut-être pas fait pour vous acclimater à la Premier League…
Je ne sais pas. Je suis parti de Manchester au bout de deux ans car je voulais jouer plus. C’est moi qui suis allé voir Ferguson pour lui demander mon départ. Je me souviens encore de ce jour où j’ai été dans son bureau pour lui dire. Il m’a répondu : « Si tu trouves quelque chose, tu viens me voir, je te laisserai partir ». C’est donc pour ça que j’ai rejoint Aston Villa. J’ai enchaîné les matches mais je me suis blessé aux ischio-jambiers. Ensuite, je pars à la CAN. À mon retour, je me suis embrouillé avec l’entraîneur (NDLR : David O’Leary). Il y a des choses que je n’acceptais pas dans son management et je le lui ai fait savoir. Du coup, il m’a mis sur la touche. Son remplaçant, Martin O’Neil m’a directement dit qu’il ne comptait pas sur moi. Je n’ai pas eu beaucoup de chance.
Parmi tous les grands joueurs que vous avez côtoyés, lesquels vous ont le plus impressionné ?
À Nantes, Mickaël Landreau m’a beaucoup marqué par sa maturité précoce. Malgré son jeune âge, il était très mature. Mais les deux qui m’ont le plus fasciné, c’est Ruud Van Nistelrooy et Ryan Giggs. Quand vous voyez comment ils se comportent à l’entraînement tous les jours… Ce sont de vrais professionnels.
Vous avez également connu Cristiano Ronaldo. Que vous inspirait-il à l’époque ?
Il a signé quelques jours après moi. En août 2003, on était en stage au Portugal et on a joué contre le Sporting de Ronaldo. Ils l’ont emporté 3-1 et Cristiano a fait un match énorme. Quatre jours plus tard, il a signé à Manchester United. Il avait seulement 18 ans, mais on voyait déjà que c’était un futur très grand. On a fait nos débuts en Premier League en rentrant contre Bolton à la même minute (NDLR : le 16 août 2003). Il habitait avec sa mère et son frère, et il venait souvent chez moi. C’était un bon garçon.
Est-ce que vos déboires extra-sportifs ont eu une incidence sur votre carrière ?
Quand les médias anglais ont été mis au courant de mes problèmes financiers, ils me sont tombés dessus. Ils aiment beaucoup ce genre d’histoires. Mais j’ai un mental de fer. Les critiques que j’ai dû essuyer à cet âge-là, peu de monde s’en serait relevé et aurait continué à s’épanouir dans le football comme je l’ai fait. Ce qui m’est arrivé, ça fait partie d’une vie de footballeur. Je n’étais pas préparé à vivre une telle carrière. Je pense que ça m’a forgé. Maintenant, je serais content de donner des conseils aux jeunes qui souhaitent devenir professionnels pour ne pas qu’ils fassent les mêmes erreurs que moi.
Vous pouvez donc confirmer que vous n’aviez pas dix voitures lorsque vous étiez à Manchester…
Sérieusement, dix voitures… Comment un jeune de 22 ans peut avoir autant de voitures (agacé) ? Déjà, où aurais-je bien pu les garer ? À Manchester, j’habitais l’ancienne maison de Rio Ferdinand, qui n’avait « que » deux garages. Où aurais-je pu mettre les huit autres ? Dites-moi ! Où ? Et franchement, à quoi ça sert d’avoir autant de voitures ? J’étais incapable d’en acheter dix. Je n’avais pas le salaire de David Beckham. Dans cette équipe, Ferdinand avait trois voitures. Keane n’en avait que deux, comme Van Nistelrooy. Ces mecs-là, eux, ils auraient pu en avoir dix, mais à quoi bon. J’ai aussi entendu que j’avais dix comptes en banque. Comment est-ce possible d’en gérer autant ? En France, je n’en ai eu que deux et un autre en Angleterre, c’est tout.
Pensez-vous que vous auriez pu faire une plus belle carrière ?
Oui, c’est possible. Si j’étais resté deux ans de plus en Ligue 1, je serais arrivé plus aguerri. Mais comme on dit souvent, le train passe une fois, pas deux… Quand Manchester est venu me chercher, je n’ai pas hésité. Aujourd’hui il ya Manchester inscrit sur mon CV. C’est déjà très beau. J’ai gagné deux trophées (le Community Shield et la Cup). United, c’est la grande fierté de ma carrière. Pour être recruté par Alex Ferguson, il fallait avoir un certain talent.»
Interview réalisée en 2020 par Sport Arenas