Dans son édito publié dans Mutations le 22 octobre 2024, George Alain Boyomo aborde le retour du président Paul Biya après 45 jours d’absence pays. Le DP du quotidien Mutations évoque le sentiment ambivalent des Camerounais, partagé entre l’espoir d’une transition politique et la crainte d’un vide de pouvoir après le règne de Biya, qui dure depuis 42 ans.
Lire l’éditorial de George Alain Boyomo, paru dans Mutations de ce 22 octobre 2024
« Si tu veux savoir ce que les gens pensent réellement de toi, il faut faire semblant de mourir ». Cet adage populaire fait particulièrement sens au moment où le président de la République, Paul Biya, regagne le bercail après plus de 45 jours consécutifs passés hors du pays.
Le chef de l’État n’a certes pas joué le numéro du « malade imaginaire » de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, mais l’effervescence empreinte du culte de la personnalité et d’un certain triomphalisme qui marque son come-back ne doit en aucun cas éclipser les nécessaires enseignements à tirer de ce chapitre agité de notre Histoire commune où la confusion n’a eu d’égale que l’incertitude du lendemain.
Sur la vaste scène à laquelle a donné lieu le psychodrame qui a duré plus de deux semaines, les scénarios les plus incroyables se sont écrits, les acteurs de divers bords ont étalé chacun leur inépuisable répertoire, les intrigues les plus saisissantes et les plus folles ont tenu l’opinion publique en haleine.
L’hypothèse du pire pour le locataire du palais d’Etoudi (92 ans dont 42 au pouvoir) a semblé réjouir certains, qui ont manifesté leur joie, de manière décomplexée, sur les réseaux sociaux. Dans l’expression d’allégresse de la plupart de ces compatriotes, il est apparu, de manière subliminale, la vulgate selon laquelle la transition tant souhaitée au Cameroun ne sera possible que si Paul Biya passe l’arme à gauche. Il s’agit-là de la thèse de la transition par la mort du Chef dont les tenants se recrutent évidemment aussi bien dans la majorité silencieuse que dans la majorité tapageuse.
Il y a eu également la réaction de ceux qui sont aux affaires. On y a perçu comme de la panique, de l’agacement et surtout de la fébrilité. Le sentiment du vide sidéral ou du trou d’air consubstantiel à l’après-Biya a tétanisé ses lieutenants et courtisans, ses supporters et ses thuriféraires. Ceux-ci, pour la plupart, rentiers compulsifs d’un système gouvernant par trop permissif, craignent sans nul doute de perdre leurs honneurs et privilèges si le long règne du champion du Rdpc venait à s’estomper brutalement. Dans la foulée, la cacophonie au sein du gouvernement, à la faveur de cette parenthèse enchantée ou désenchantée, c’est selon, a rappelé à ceux qui en doutaient encore que le bateau n’est pas loin d’être ivre.
Last but not the least dans ce long métrage qu’on pourrait intituler « le fantôme de Genève », les Camerounais qui pensent que Paul Biya vivant est, au minimum, une partie de la solution pour une transition sans heurts au Cameroun. C’est le gage de la continuité d’un État stable. Pour ce courant de pensée, le retour du président de la République était considéré comme une opportunité pour qu’enfin il organise le passage de témoin, de manière lucide et paisible, dans sa famille politique. Et que les mécanismes constitutionnels de la vacance au pouvoir soient davantage clarifiés.
Dans l’ensemble, l’on a eu droit comme à un tour de chauffe du Grand soir annoncé depuis longtemps au Cameroun, mais jamais vécu dans ses secousses les plus anodines et anxiogènes.
Après l’épisode de 2004 et le feuilleton de 2024 qui le donnaient pour mort, le président Biya tient indubitablement un kaléidoscope plus abouti de ce que ses compatriotes pensent de lui et de l’exercice du mandat que le peuple lui renouvelle depuis son accession à la magistrature suprême en 1982. À lui de savoir choisir sa porte de sortie.»